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parchemins renfermant les revendications et les sommations des habitants des colonies anglaises auprès de la métropole britannique. Étant très versé dans les choses du droit international il avait une vision plus nette des nécessités d’un peuple colonial, qui commençait à sentir l’âpreté d’un lien qui l’unissait à un parent lointain et égoïste, et ce lien ne possédait plus assez d’élasticité pour durer longtemps. Du Calvet, avec sa science du droit, alla jusqu’au fond des choses les plus infimes, et l’on peut dire qu’il fût, mais sans que rien n’en transpirât, la cheville ouvrière du mouvement révolutionnaire des colonies de l’Atlantique.

Ici, il ne faut pas penser que le sieur Du Calvet avait été inspiré par un intérêt pécuniaire… non ! Sa fortune personnelle était assez considérable pour qu’il n’eût plus rien à désirer sous le rapport des acquisitions de biens matériels.

Mais quel était donc le but du gentilhomme français ?

Celui-ci uniquement : affaiblir en la divisant la puissance britannique sur le continent américain, afin que la race canadienne et française pût acquérir plus de force pour combattre avec succès les empiétements des Anglais sur ce qui était considéré comme des droits essentiels politiques, civils et religieux, reconnus aux colons français demeurés sur le sol canadien après les capitulations de 1759. Du Calvet s’était fait le champion de la cause. Dès qu’il avait saisi les premières convulsions du ver révolutionnaire dans l’esprit des colons américains, il avait essayé des stimulants que, d’ailleurs, les américains eux-mêmes étaient venus lui demander. Il n’avait pas manqué l’opportunité et de ce jour sa formule avait été : Diviser les Anglais !

— Comment ! s’était écrié un jour un de ses amis avec une immense stupeur, vous allez favoriser une révolution qui, pour nous, peut devenir une catastrophe ?

Du Calvet sourit.

— Non, mon ami. C’est justement la catastrophe que je veux éviter ; une fois que les Américains seront des maîtres chez eux, il n’y aura plus d’Anglais en cette immense Amérique que ceux qui occupent notre sol canadien. À ces Anglais alors nous pourrons dire : — À nous deux !

Mais ajoutons que Du Calvet, comme personne du reste, ne pouvait prévoir ou deviner le partage géographique qui allait se produire plus tard sur le sol canadien. Il ne pouvait prévoir que notre population française allait être coupée en deux tronçons, lorsque par le traité de Versailles de 1783 l’Angleterre se déciderait à céder aux Américains, en reconnaissant leur indépendance politique, toute une lisière de pays courant du nord-est au sud-ouest, c’est-à-dire du lac Champlain au Détroit, pays colonisé et habité par des populations de langue française. Du fait, ces populations passaient sous le régime américain et devenaient partie d’une nation qui, plus tard, aurait à peu près perdu la marque de ses premières origines. Ces colons français, qui devenaient ainsi par la force des choses des citoyens américains, ne seraient plus pour notre population canadienne ce nombre et cette force dont elle aurait tant besoin dans l’affreuse lutte de race qui allait commencer.

N’importe ! Du Calvet eût-il prévu ce partage qu’il eût marché quand même vers le même but, pensant qu’il valait mieux perdre un peu de ce côté que de se voir plus tard par l’immense majorité anglo-saxonne englobé, noyé, effacé.

Il n’avait pas prévu davantage l’émigration, des terres américaines en terre canadienne, des trente mille loyalistes anglais qui voulurent demeurer fidèles à leur mère-patrie ; car pendant que la race française perdait vingt mille âmes, la colonie anglaise du Canada en gagnait trente mille !

N’importe encore ! Du Calvet n’aurait pas dévié du chemin tracé.

Du Calvet avait donc donné tout son appui aux Américains, non seulement son appui moral et juridique, mais encore un appui financier considérable par la fourniture de vivres et de munitions de guerre, alors que les Anglais bloquaient tous les ports de l’Atlantique. C’est ce qui avait porté ses ennemis à croire et à clamer que Du Calvet avait également fourni des vivres et des munitions de guerre aux Américains, lors de leur invasion au Canada en 1775 et leur occupation de Montréal et de Trois-Rivières. Ces ennemis avaient profité de cette opportunité pour crier que Du Calvet et quelques-uns de ses amis et partisans travaillaient à pousser les Américains à faire la conquête du Canada. Du Calvet était loin de souhaiter cette conquête. Alors que les agents de Washington faisaient tous les efforts pour détacher les Canadiens du régime anglais, Du Calvet travaillait en sens contraire. À diverses reprises les agents américains et jusqu’à des envoyés spéciaux de La Fayette approchèrent Du Calvet pour l’attacher aux idées révolutionnaires. Il demeurait inébranlable et répondait :

— Messieurs, je vous prie de croire que