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— Demeure dans le corridor en ayant soin que ta lanterne éclaire suffisamment le cachot.

Le gardien obéit. Puis Foxham, un peu tremblant, très livide, pénétra tout à fait dans la mansarde, tira son poignard et marcha sur la pointe des pieds vers le lit de camp.

La lueur de la lanterne parvenait à jeter une blafarde clarté, mais suffisante pour permettre à Foxham d’accomplir sa triste besogne.

Bientôt il fut près du lit.

Il leva son poignard, puis doucement, très doucement, écarta les couvertures, mit à nu la gorge du dormeur et avec une rapidité effrayante par trois fois il enfonça la lame de son poignard.

Or, tout ce qu’entendit le gardien, ce fut un soupir !

Foxham, près de sa victime, le poignard sanglant à la main, écoutait…

— Allons ! murmura-t-il, Saint-Vallier est mort…

Il sourit.

Il essuya le poignard aux couvertures du lit, le replaça sous son manteau et revint au gardien qui n’avait rien vu, et qui n’avait entendu qu’un soupir.

— Tu connais, dit Foxham, la voix légèrement tremblante, une vieille citerne en arrière de cet édifice et dont on ne se sert plus ?

— Oui, je la connais… mais elle sert de puisard à présent !

— Tant mieux. Tu vas m’y guider, tout en m’aidant à emporter l’homme qu’il y a là !

— Hein ! Saint-Vallier… s’écria le gardien avec épouvante.

— Oui, Saint-Vallier, répliqua Foxham avec un sourire terrible, mais Saint-Vallier mort !

— Mort !…

Le gardien chancela.

— Allons ! ricana Foxham, ce n’est pas le temps de s’évanouir. J’ai des ordres, et je n’ai pas le temps de moisir ici ! Viens !

Le gardien suivit.

Le cadavre fut roulé dans une couverture et emporté par les deux hommes. Arrivé au rez-de-chaussée, le gardien ouvrit une porte et dit à Foxham :

— Il y a une autre porte, qui donne sur la cour en arrière, et si cette porte est fermée à clef, nous ne pourrons sortir par là.

— Va voir, dit Foxham, afin que nous ne nous promenions pas inutilement avec ce cadavre.

Le gardien se perdit dans un corridor. Il reparut au bout de quelques minutes et dit :

— Cette porte est justement fermée à clef et je ne peux l’ouvrir ; je n’ai que cette clef qui ne fonctionne pas.

— Alors comment et par quel chemin arriver à cette citerne ?

— Il va falloir passer par en avant, et traverser la place.

Foxham parut méditer profondément.

Sur la place il y avait des sentinelles, et le lieutenant ne voulait pas qu’elles fussent mises au courant de la mission qu’il était venu accomplir. Il paraissait assez perplexe, lorsque le gardien dit tout à coup :

— Il y a dans la cour intérieure une autre citerne, et la porte qui y donne accès n’est pas fermée à clef.

— Eh ! que ne le disais-tu plus tôt ! réprimanda Foxham. Allons ! une citerne ou l’autre… va !

Cinq minutes plus tard les deux hommes furent près de la citerne. Le lourd couvercle fut soulevé, puis le cadavre hissé et poussé dans le trou.

On perçut tout au fond un bruit sourd d’eau lointaine que heurte un corps pesant et qui rejaillit ensuite contre des parois… Puis le silence se rétablit.

Foxham sourit largement, laissa retomber doucement le couvercle de la citerne, et murmura :

— Maintenant, Saint-Vallier n’est plus !

Il glissa une bourse dans la main du gardien en lui recommandant ceci :

— Tu iras remettre le cachot à l’ordre demain matin, ou cette nuit si tu aimes mieux, et avant de dire quoi que ce soit de cette affaire, tu attendras qu’on t’interroge !

— Et si l’on m’interroge, que dirai-je ?

— Ce que tu as vu et fait ! répliqua froidement Foxham qui s’en alla.


XII

LES CACHOTS SECRETS


Tandis que Foxham achevait sa terrible besogne aux Jésuites, une autre scène se passait aux casernes de la rue Champlain.

Cinq hommes venaient d’approcher à pas de loup des casernes, et celui qui marchait en tête avait dans chacune de ses deux mains un pistolet, il portait un long manteau noir et sa tête était encapuchonnée. Si Foxham se fût tout à coup trouvé en face de cet homme, il eût été pétrifié par la stupeur sinon par l’épouvante : cet homme n’était autre que Saint-Vallier lui-même !