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être le percer de part en part, lorsque le lieutenant, dans un cri d’épouvante clama :

— Tirez… soldats !

Ce cri arrêta le jeune homme, qui jeta un regard terrible aux deux sentinelles.

Mais avant que celles-ci eussent épaulé leurs fusils, un homme apparaissait dans la fenêtre brisée, deux coups de pistolet abattaient les deux sentinelles, puis bondissait à l’intérieur, enlevait dans ses bras puissants Louis Du Calvet, et avant que Foxham fût revenu de sa surprise, prenait la fuite par la même fenêtre.

Foxham se vit seul avec deux cadavres, mais il avait reconnu, dans l’homme qui avait emporté le fils de Du Calvet, Saint-Vallier.

— Dieu me damne ! jura-t-il avec rage, Saint-Vallier encore ! Quoi ! cet homme est donc un démon ! Cet homme sort-il de sa prison à son gré et à sa fantaisie ? Oh ! cette fois je veux en avoir le cœur net.

Il quitta brusquement le living-room, traversa une antichambre, enfila un couloir et arriva peu après à un dortoir. Il poussa violement la porte et commanda d’une voix de tonnerre :

— Quatre hommes sur le champ !

Deux cents hommes sautèrent sur leurs lits, et deux cents têtes hagardes se soulevèrent pour voir ce qui se passait.

— Quatre hommes ! commanda encore Foxham d’une voix impérative.

Quatre des soldats qui se trouvaient près de la porte, s’habillèrent hâtivement et cinq minutes après répondaient à l’appel.

— Sortez ces deux cadavres ! ordonna Foxham revenu en son living-room. Puis vous clouerez des planches à cette fenêtre brisée. Ensuite, pendant que je m’absenterai, deux d’entre vous demeureront ici même, et les autres iront faire le guet dehors pour remplacer ces deux imbéciles (il indiquait les cadavres des deux sentinelles tuées par Saint-Vallier) qui ont manqué à leur devoir.

Une fois ces ordres donnés, Foxham pénétra dans sa chambre, revêtit un long manteau de couleur foncée, passa un poignard à sa ceinture, enfonça un feutre noir sur sa tête et quitta la caserne en grommelant :

— Allons, Saint-Vallier ! cette fois, c’est entre toi et moi !…

Il s’élança vers la haute-ville… vers les Casernes des Jésuites.

Une demi-heure ne s’était pas encore écoulée depuis la disparition de Saint-Vallier emportant Louis Du Calvet, que Foxham pénétrait dans la loge du gardien de nuit.

À la vue du lieutenant qu’il reconnut, le gardien esquissa une mimique de surprise.

— Ah ! ah ! tu me reconnais ? demanda Foxham d’une voix agitée.

— Je vous reconnais, monsieur… vous êtes le lieutenant Foxham ! Le gardien fit le salut militaire.

— Et tu sais quelles relations j’ai parmi les autorités ?

— Oui, monsieur !

— Eh bien ! écoute. D’abord, dis-moi si Saint-Vallier est dans sa prison ?

— Pourquoi n’y serait-il pas ? Avez-vous appris qu’il a été libéré ? Eh bien ! moi je sais que sa libération n’a pas encore été exécutée, attendu que je reviens précisément de son cachot et…

— Et qu’il est là ?… acheva Foxham, la voix tremblante.

— Naturellement.

— Eh bien ! mon ami, si tu avais été là une demi-heure plus tôt, tu aurais découvert que le cachot était vide !

Le gardien regarda Foxham avec un air qui pouvait se traduire ainsi :

« Tiens ! j’avais pensé tout à l’heure que cet homme devenait fou… à présent il l’est tout à fait ! »

Mais Foxham était pressé et il voulait aller droit au but, aussi reprit-il :

— Mais n’importe ! ce n’est pas le temps des explications, voici : tu vas me conduire au cachot de Saint-Vallier et tu vas m’aider à accomplir une besogne dont j’ai été chargé par un haut personnage ! Est-ce assez clair ?

Le gardien malgré lui frissonna sous le regard terrible que laissait peser sur lui Foxham.

— Oui, monsieur, répondit-il, je vous comprends !

Il prit de suite sa lanterne et se dirigea vers la porte de sa loge disant :

— Suivez-moi !

Lorsque les deux hommes furent devant la porte du cachot, Foxham à voix basse dit au gardien :

— Ouvre doucement, sans bruit, si possible, et qu’il ne se réveille pas s’il dort !

Le gardien obéit. La porte fut ouverte sans bruit.

Alors Foxham prit la lanterne des mains du gardien, l’éleva au-dessus de sa tête et jeta un regard perçant vers le lit de camp. Il eut à ses lèvres livides un sourire de cruelle satisfaction : oui, Saint-Vallier était là… Saint-Vallier dormait… Saint-Vallier ronflait !

Foxham remit la lanterne au gardien et lui souffla à l’oreille :