temps en futilités ! Si encore vous aviez les chagrins… que j’ai !
— Vous avez des chagrins, mademoiselle ?
— De gros chagrins ! C’est peut-être ce qui me rend un peu brusque avec vous et fort peu aimable !
— Vous êtes très aimable, au contraire !
— Merci.
— Mais ces chagrins… je les partagerais peut-être, si je les connaissais !
— Monsieur Foxham, reprit Louise avec gravité, ne savez-vous pas l’affront qu’a subi mon père auprès du gouverneur…
— Je ne sais rien de cet affront, affirma Foxham avec une mine sincère.
— Vous ne savez pas que le gouverneur a refusé à Monsieur Du Calvet sa liberté provisoire ?
— Quoi ! fit Foxham avec étonnement, allez-vous m’apprendre à présent que vous sympathisez avec ce Du Calvet ?
— Lui ! fit Louise en haussant les épaules avec une petite moue d’indifférence, je ne le connais pas. Mais savez-vous ce que je me suis laissé dire ?
— Voyons !
— Que sa pauvre femme se meurt d’ennui et de désespoir en sa demeure aux Trois-Rivières !
— Oui, c’est bien malheureux… répliqua hypocritement le lieutenant.
— Or, c’est une femme, monsieur, et je suis femme… comprenez-vous ?
— Oui, oui, je vous comprends. Mais on s’occupe de cette malheureuse.
— C’est bien le moins. Margaret est fort active ainsi que quelques dames anglaises auprès du gouverneur pour qu’il prenne en pitié cette pauvre femme !
— Je sais. Je suis allé à Trois-Rivières la semaine dernière pour faire enquête.
— Est-ce le général qui vous a envoyé ?
— Oui… Et depuis, ajouta Foxham en jouant la plus parfaite conviction, je croyais que Du Calvet avait été mis en liberté !
— En liberté ! fit avec émotion la jeune fille.
— Cette rumeur n’a-t-elle pas couru durant quelques jours ?
— Je la croyais fausse !
La jeune fille se doutait bien que Foxham cherchait à la tromper. Mais depuis un instant Louise Darmontel était fort troublée par cette pensée : « Pourquoi Foxham a-t-il été envoyé à Trois-Rivières ? »…
Il avait dit pour faire enquête, mais la jeune fille avait un autre pressentiment. Car si Foxham était allé à Trois-Rivières la semaine d’avant, son voyage avait été tenu très mystérieusement en secret. Donc il était allé comme la première fois, accomplir quelque terrible besogne ! Car Foxham commençait à passer pour le pourvoyeur officiel des Cachots d’Haldimand ! Et quelle besogne avait-il pu accomplir ? Louise se le demandait avec inquiétude ! Et pour que Foxham, à présent, parlât de ce voyage, il fallait donc croire que la besogne avait été accomplie et que rien n’en avait transpiré ! Maintenant, Louise avait hâte de voir la fête prendre fin pour qu’elle pût causer avec son père de ce qu’elle venait d’apprendre, et elle avait encore plus hâte d’en instruire Saint-Vallier ?
La musique qui dirigeait la danse, après s’être tue un moment, reprenait.
— Ah ! dit Foxham, voici la deuxième danse… venez-vous ?
— Allons ! dit simplement Louise.
Vers une heure de la nuit, un peu après la collation offerte à ses invités par le lieutenant-gouverneur, et alors que la foule quittait peu à peu le Château, Louise Darmontel et Margaret Toller demeuraient presque seules dans le grand salon. Elles étaient assises sur une causeuse et s’entretenaient à voix basse.
— Ma chère Louise, disait Miss Margaret, comme je te l’ai promis, j’ai beaucoup travaillé pour qu’on porte secours à cette pauvre madame Du Calvet ! Il paraît que le général va s’occuper d’elle incessamment.
— Mais alors, son mari n’est pas encore en liberté ?
— Pauvre homme ! soupira la jeune anglaise.
— Mais n’a-t-il pas couru qu’il avait été remis en liberté ?
— Oui, on l’a dit, mais ce n’étaient que des bruits. Autant que j’ai pu savoir, le pauvre diable n’est pas près de se voir en liberté !
— C’est terrible !
— On dit que son dossier est effroyablement chargé !
— On dit ça… Louise était devenue très pâle.
— Son procès doit avoir lieu bientôt.
— N’a-t-on pas essayé de le faire évader ? demanda Louise en essayant de prendre un ton indifférent.
— Il y a déjà longtemps, oui. Oh ! c’est toute une histoire. Des inconnus étaient par-