Page:Féron - Les cachots d'Haldimand, 1926.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Louise se trouva subitement seule avec Foxham qui lui dit gracieusement :

— Mademoiselle, je voulais vous prier de m’accorder la faveur de danser avec vous, mais comme je désire causer un peu auparavant, voulez-vous me permettre de vous demander cette faveur à la deuxième danse ?

— Comme il vous plaira, monsieur, répondit aimablement Louise.

Elle accepta le bras du lieutenant qui la conduisit dans le vestibule devenu tout à fait désert depuis que la danse avait commencé. Au moment où ils avaient traversé le grand salon plusieurs regards s’étaient posés avec admiration sur le couple, car ce couple, disons-le, était beau. Certes la rayonnante beauté de Louise Darmontel y était pour beaucoup ainsi que sa gracieuse élégance ; mais Foxham ne la déparait pas. En dépit de son air trop souvent hautain, il possédait beaucoup de distinction et d’élégance. Son visage était régulier et son teint très coloré, et des yeux noirs, brillants et mobiles, animaient merveilleusement ce visage et ce teint. Foxham était ce qu’on appelle un beau garçon ; malheureusement toute sa personne décelait un manque d’aménité et de sympathie.

Il était venu au pays au commencement de la campagne de 1776, et il avait été attaché en qualité de lieutenant à l’état-major du général Burgoyne. Comme beaucoup de jeunes officiers anglais du temps, Foxham était venu en Amérique dans l’espoir de se tailler une belle place dans les cadres de l’armée anglaise. Ce n’était pas une nature mauvaise, mais très facile à l’empreinte. Il avait de suite reçu le germe des préjugés, contre la race française du Canada, qui rongeaient l’entourage au sein duquel il vivait. Quand on est jeune et qu’on a de l’ambition, on s’imagine qu’il est nécessaire de singer ceux qui occupent un rang supérieur au nôtre et qui sont susceptibles de nous aider à parvenir ; on ne copie pas seulement leurs dehors, on s’efforce de penser comme ils pensent, d’agir comme ils agissent, quitte à mal penser et à mal agir. Foxham était jeune et ambitieux… il singea, et il singea au point de devenir une brute ! D’ailleurs, c’est là où mène généralement la manie de copier les autres. Donc, s’il en était venu à tant détester les Canadiens, il s’était rendu non moins détestable auprès d’eux. Et après, était-il concevable que ce jeune homme, pétri de haine de race après avoir été pétri de préjugés, pût désirer sincèrement de lier sa destinée à celle d’une jeune fille canadienne ? Il faut donc croire que Foxham plaçait Louise Darmontel bien au-dessus de sa propre race, ou bien qu’il s’était ingénié à se faire accroire que la jeune fille était d’une race étrangère à la race canadienne ! Mais ce qu’il faut croire avant tout, c’est que Foxham aimait la fille d’Ève tout en méprisant, sans se l’avouer peut-être, la fille de race !

Lorsqu’il se vit seul avec Louise dans le vestibule, il entama le premier la conversation et en langue française, ce qui surprit grandement la jeune fille ; car le plus souvent Foxham affectait d’ignorer notre langue.

— Mademoiselle, dit-il, j’avais bien redouté de ne pas vous voir à cette fête ce soir, ainsi que me l’avait fait penser Margaret.

— Étiez-vous donc vraiment désireux de me voir ?

— De vous voir et de vous parler, sourit Foxham.

— Mais d’abord, monsieur Foxham, dites-moi pourquoi vous me parlez ce soir en langue française ?

— En êtes-vous si surprise ?

— Terriblement surprise… puisque je vous en demande le motif ! se mit à rire la jeune fille.

— Aimez-vous mieux que je m’exprime en ma langue ?

— Non pas… au contraire !

— Oh ! je sais bien que je ne parle pas votre langue admirablement !

— Vous la parlez très bien ; c’est pourquoi je m’étonne que vous ne la parliez pas plus souvent.

— Je n’ai pas l’opportunité.

— Si… lorsque vous me rencontrez, par exemple…

— C’est vrai… mais je vous rencontre généralement dans un milieu où l’on ne parle que l’anglais, alors…

— Pensez-vous qu’il serait indélicat de votre part de m’adresser la parole en ma langue, même lorsqu’il n’y a autour de nous que des personnes de votre race ?

— Je ne dis pas que ce serait indélicat… Mais l’on ne sait jamais qui l’on peut blesser quand on s’exprime dans une langue qui n’est pas comprise de tout le monde. Mais ce soir, nous sommes seuls…

— C’est donc votre unique motif ? interrompit Louise avec un sourire légèrement moqueur.

— Unique, vous le dites.

— Eh bien ! figurez-vous que moi je pensais que c’était purement parce que vous détestiez notre langue !

— Avez-vous pu supposer… fit Foxham avec une feinte surprise.

— J’ai fait mieux que supposer, sourit finement Louise, parce que vous n’aimez guère