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de Louise parut créer une sensation. Elle apparaissait dans une magnifique robe de soie bleue passementée de fines dentelles blanches. Elle ne portait ni bijoux ni pierres précieuses, mais son éclatante beauté pouvait se passer de ces parures. Ses pieds étaient chaussés de petits souliers de satin bleu sur hauts talons qui grandissaient sa taille élancée. Sa lourde chevelure châtaine était arrangée en une exquise torsade sur le sommet de sa tête, tandis que deux papillotes délicieuses tombaient admirablement sur ses oreilles. Mais la sensation ne provenait pas uniquement de la beauté de Louise, mais aussi de l’apparition de M. Darmontel. Car on savait les rudes paroles qui avaient été dites au gouverneur Darmontel lors de sa démarche pour obtenir la liberté provisoire de Du Calvet, et il faut croire que des menaces avaient été prononcées à l’adresse du commerçant. En effet, Haldimand n’avait pas pardonné à Darmontel les paroles qu’il avait dites avant de se retirer après l’audience. On croyait donc que Darmontel en paraissant à cette fête voulait faire acte d’audace et de défi, bien que, à la vérité, Haldimand lui eût adressé une invitation.

À son arrivée, Louise Darmontel avait été de suite entourée, puis entraînée dans les salons par une escouade de jeunes Misses commandée par Margaret Toller.

Quant à Darmontel lui-même, après avoir été salué assez courtoisement par Haldimand, il s’était joint à un groupe de commerçants anglais qui discutaient les affaires du pays, et surtout les choses politiques qui concernaient les États américains, qui avaient proclamé leur indépendance, mais que l’Angleterre n’avait pas encore reconnus comme politiquement indépendants.

Louise avait donc été de suite séparée de son père. Elle s’était beaucoup réjouie intérieurement de tomber sitôt dans le sillage de Margaret Toller, qui était comme la reine de cette jeunesse féminine de la société anglaise.

— Ah ! dear ! s’était écriée Miss Margaret, excessivement rousse et habillée de couleurs trop voyantes, mais babillarde et gaie à l’excès, on avait pensé que tu ne viendrais pas à cette fête !

Puis un flot de banalités entremêlées de rires jeunes et argentins s’était mis à couler entre toutes ces jeunes filles qui, enlacées, envahissaient les salons. On entendait au loin la musique d’un orchestre qui venait d’attaquer un air de danse. Des jeunes hommes, militaires pour la plupart, vinrent offrir le bras aux jeunes filles qui entouraient Louise Darmontel et Margaret Toller, de sorte que peu après les deux amies se virent seules.

— Ma chère Louise, dit Margaret, il se trouve ici un spectre vivant qui s’ennuie à mourir et que je crois sur le point de retourner à sa tombe.

Elle se mit à rire aux éclats.

— Je le plains, sourit Louise.

— Comme moi, n’est-ce pas ? Oh ! c’est qu’il fait vraiment pitié ! Suis-moi !

— Où veux-tu me conduire ? demanda Louise.

— À mon spectre vivant !

— Décidément, tu me fais peur ! se mit à rire Louise à son tour.

— Oh ! il n’est pas dangereux ! Mais il est fort boudeur !

— Qui donc encore, Margaret ?

— Mon cousin, Daniel.

— Le lieutenant Foxham ?

— Justement. Tiens ! vois-le… il vient de ce côté ! Je parie qu’il me cherche… poor pet !

Elle rit longuement.

— S’il te cherche, reprit Louise, cours à lui ! Ce n’est pas moi…

— Ce n’est pas toi ? interrompit Margaret. Le savons-nous ? J’ai dit « moi »… mais il se peut fort bien que ce soit… Ah ! mais, tiens, il nous a aperçues. Viens, Dear, je suis sûre que nous ne serons pas trop de deux pour le décharger de ses soucis !

Louise se laissa emmener à la rencontre de Foxham. Le lieutenant avait en effet une mine fort sombre.

Mais à la vue de Louise il sourit et s’inclina courtoisement.

De suite Margaret disait après un court éclat de rire :

— Tâchez donc, Daniel, de vous faire une mine plus réjouie ! Ne sommes-nous pas assez joyeuses… ou peut-être pas assez belles ?

Elle cligna vers Louise un œil narquois.

— Joyeuses ? fit Foxham en essayant de rire, je crois bien. Belles ?… mais vous êtes ravissantes !

Oh ! dear ! oh ! dear !… s’écria Margaret en entourant la taille de Louise, voici notre Daniel déjà ressuscité !

Foxham, en effet, s’était tout à coup déridé, et il avait lancé à Louise Darmontel un regard très ardent et très admiratif.

À ce moment, un jeune officier anglais s’approchait du groupe, s’inclinait, puis offrait son bras à Margaret pour la danse qui commençait.