Page:Féron - Les cachots d'Haldimand, 1926.djvu/43

Cette page a été validée par deux contributeurs.

autrefois servir de dortoir. Puis le gardien ouvrit une porte et pénétra dans un corridor donnant sur la façade de l’édifice. Or, pendant ce trajet de la loge du gardien à ce corridor, Foxham avait murmuré à Buxton ces paroles :

— Si Saint-Vallier est dans sa prison et s’il y est couché et dort, je veux être fusillé à l’aube !

— Parce que vous êtes certain qu’il est au fond du fleuve ? demanda Buxton.

— Oui… si l’homme, qui est venu cette nuit sur « Le Requin » pour tenter la délivrance de Du Calvet, est bien Saint-Vallier que j’ai cru reconnaître !

— Et s’il occupe encore son donjon ? interrogea Buxton.

— Je me serai trompé, ou bien ce Saint-Vallier a le diable au ventre !

— Voilà, messieurs ! annonça le gardien en s’arrêtant devant une porte fortement verrouillée et cadenassée, porte qui aboutissait à l’extrémité du corridor que les trois hommes venaient de parcourir.

— Ouvre ! commanda Foxham d’une voix sourde et légèrement tremblante.

Le gardien décadenassa la lourde porte et l’ouvrit. À la clarté de la lanterne les trois hommes découvrirent un individu, étendu sur le lit de camp, les couvertures remontées jusqu’au menton et dormant tranquillement.

Foxham prit des mains du gardien la lanterne et l’approcha du visage du dormeur.

C’était bien Saint-Vallier…

Au mur il vit la lévite grise accrochée, le chapeau avec sa rosace blanche et son lys rouge, un long manteau brun avec collet en fourrure. Foxham toucha de sa main gauche la lévite et le manteau : ces deux vêtements étaient parfaitement secs. Par terre il aperçut une culotte noire, des guêtres, des souliers. Il tâta également la culotte : elle était sèche !

Alors Foxham tourna son visage pâle vers le colonel qui, muet et immobile, attendait que le lieutenant se prononçât.

— Colonel, dit Foxham la voix excessivement altérée, j’ai mal vu là-bas… ce n’était pas Saint-Vallier !

Les trois hommes s’en allèrent.

Après que la porte eut été refermée, les verrous poussés et le cadenas fermé, et après que des pas se furent perdus dans l’éloignement, une tête se souleva de dessus l’oreiller du lit de camp, puis une voix se mit à ricaner en murmurant ces paroles :

— Ah ! ces bons Anglais… sont-ils un peu naïfs tout de même !… N’empêche, ajouta-t-il, que si Hector ne revient pas bien vite, je vais geler tout vif ici !

En effet, il faisait très froid dans ce donjon.

Le jeune homme décrocha du mur le manteau, l’étendit par-dessus ses couvertures, renfonça sa tête dans l’oreiller et parut s’endormir.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Chez Monsieur Darmontel, un vieux médecin français qui, après 1760, s’était décidé à demeurer sur le sol Canadien, venait de déclarer que Saint-Vallier, avec sa blessure à l’épaule, n’était pas en danger. La balle du pistolet de Foxham n’avait que troué les vêtements et labouré la chair. Mais le jeune homme demeurait toujours inconscient à cause de ses forces qu’il avait totalement épuisées.

Près du lit sur lequel demeurait le blessé, Louise Darmontel se tenait inquiète et très pâle.

Le médecin et M. Darmontel s’étaient retirés dans une pièce voisine, et Louise demeurait seule avec ce corps inanimé, mais que la vie n’avait pas abandonné.

Louise tenait ses yeux humides fixés sur le visage très livide du jeune homme, et dans ses regards on pouvait lire un amour puissant. Elle le regardait avec extase, ce beau cavalier ! Car il était vraiment beau ce Saint-Vallier, beau de cette mâle hardiesse qui caractérisait chacun de ses traits, beau de cette noble et fière audace qui dictait ses paroles et ses gestes, beau de ce courage sublime qui ne reculait devant aucun danger, beau de cette farouche virilité qui en faisait un homme dans toute la plénitude du mot. Courageux, brave, hardi et généreux… voilà les quatre qualités dominantes de ce jeune homme qui avait été comme le frère de lait de Louise Darmontel. Oui, Saint-Vallier avait comme sucé le lait à la même source vigoureuse où avait puisé de ses petites lèvres la jeune fille. Puis tous deux avaient grandi côte à côte ; lui avait atteint sa vingt-huitième année, Louise, sa vingt-sixième qu’elle dépassait de quelques mois. Ils étaient tous deux d’âge suffisamment mûri pour se lancer dans la grande aventure du mariage sans trop redouter les conflits. Ils s’étaient d’abord aimés comme frère et sœur ; et plus tard, lorsque Saint-Vallier avait atteint la vingtaine, et elle sa dix-huitième année, ils s’étaient aimés de cet autre amour qui tisse l’éternel lien entre l’homme et la femme, entre l’époux et l’épouse. Puis Saint-Val-