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de stupeur, de colère, d’épouvante, des blasphèmes… Saint-Vallier joua plus que jamais de son poignard, enjamba des corps humains, passa… et, essoufflé, haletant, chancelant, il arriva au pied de l’écoutille.

Derrière lui survenait comme une meute en furie.

Il monta l’escalier. Sur le pont il chercha à découvrir l’embarcation qui l’avait amené, mais il ne la vit nulle part et il sourit de contentement.

La meute enragée arrivait au pied de l’écoutille.

Saint-Vallier traversa vivement le pont du navire à tribord, sauta sur le parapet…

À ce moment précis une dizaine de matelots surgirent sur le pont et aperçurent la silhouette sombre du jeune homme qui venait de sauter sur le parapet. Cinq ou six coups de feu éclatèrent… ! Saint-Vallier piqua une tête dans les flots noirs…

L’instant d’après, une dizaine d’hommes, Foxham en tête, se penchaient ardemment au-dessus du parapet et, silencieux, prêtaient l’oreille vers les flots immobiles.

Nul bruit…

Alors Foxham se mit à rire sourdement.

— Mes amis, dit-il, vos balles ont atteint une cible… un cadavre est là !

Oui, mais en bas c’étaient quatre cadavres qu’il y avait et une dizaine de blessés…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un cadavre ! avait dit Foxham.

Mais pas celui de Saint-Vallier encore !

Non !… Saint-Vallier nageait entre deux eaux, doucement, silencieusement, rapidement dans la direction de Québec.

Quatre hommes venaient d’amarrer à un quai une légère embarcation, et tous quatre tournés vers le fleuve demeuraient immobiles et silencieux. Puis l’un d’eux dit :

— Pauvre Saint-Vallier… il a trop risqué !

— Il a dû trouver son tombeau sur ce maudit brick, proféra un autre.

Et les quatre hommes tinrent leurs regards dans la direction du navire anglais sur lequel ils voyaient des lueurs de lanternes s’agiter.

Mais voilà que leur attention fut tout à coup attirée par le bruit que fait un nageur. Ces hommes n’eurent pas le temps de prononcer une parole de surprise, qu’un homme grimpait agilement sur le quai et apparaissait, ruisselant d’eau et vacillant.

Il allait parler… mais il s’écrasa lourdement devant les quatre hommes stupéfaits.

— Saint-Vallier ! murmura l’un d’eux.

Les quatre hommes se penchèrent sur le corps du jeune homme.

— Il est évanoui ! dit l’un.

— Transportons-le à l’auberge ! émit un autre.

— À l’auberge ? Non pas, protesta un troisième. Il faut le conduire chez M. Darmontel !

— Tu as raison ! admit celui qui avait proposé l’auberge.

L’un de ces hommes partit aussitôt pour aller à la recherche d’une voiture.

Il revint après un quart d’heure conduisant un cheval vigoureux attelé à une calèche.

Saint-Vallier, toujours inconscient, fut déposé dans la voiture.

Chez Darmontel, le commerçant et sa fille, Louise, attendaient dans la plus vive anxiété le résultat de l’expédition de Saint-Vallier. Mais en voyant paraître ce corps tout mouillé et inanimé, une terrible angoisse les mordit au cœur.

Louise Darmontel, en pleurs, se jeta sur le corps inanimé en gémissant :

— Ô Hector !… Hector !…

Un moment, M. Darmontel redouta qu’elle ne s’évanouît.

De suite il donna des ordres pour qu’on allât chercher le médecin de la famille.


IX

DANS LE DONJON


Il était environ trois heures du matin, quand deux hommes pénétrèrent dans la loge du gardien de nuit aux casernes des Jésuites.

Le gardien, à la vue de ces deux personnages, quitta vivement un grabat où il venait de s’assoupir, fit le salut militaire, et attendit qu’on l’interrogeât.

Ces deux personnages étaient le colonel Buxton et le lieutenant Foxham.

— Mon ami, dit Buxton sur un ton autoritaire, conduis-nous au cachot de Saint-Vallier !

Quoique étonné par cette visite et cette demande surtout, et sachant à quel rang appartenaient ces visiteurs, le gardien n’osa hésiter une seconde.

— Venez, messieurs ! dit-il.

Il prit une lanterne sur sa table, ouvrit une porte au fond de la loge, enfila un corridor au bout duquel était un escalier montant vers les étages supérieurs. Arrivé sous les combles, les trois hommes traversèrent une grande pièce toute dénudée qui avait dû