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et l’homme qui tenait le pistolet, c’était le lieutenant Foxham.

Saint-Vallier le reconnut de suite dans la pâle clarté que jetait la lanterne posée sur la petite table. Il recula d’un autre pas en ayant soin de ramener sur son visage le capuchon, de sorte qu’on ne pouvait voir que ses yeux.

La voix de Foxham venait de tonner :

— Arrête !… un pas de plus et je fais feu !… Qui êtes-vous ?

Saint-Vallier réfléchissait déjà rapidement.

Il venait de comprendre que son truc avait été déjoué, que Du Calvet avait été tiré du cabanon pour être enfermé dans un autre cabanon ou cachot, et que lui, à moins d’un miracle, était un homme mort ou à peu près. Car là, devant lui, il reconnaissait un ennemi mortel, Foxham ! Jamais, en sa vie, Saint-Vallier n’avait couru un tel danger.

S’il était soudain reconnu par Foxham, c’était la mort certaine : ou Foxham le tuerait là comme une bête venimeuse, ou il le ferait prisonnier pour être ensuite exécuté par les ordres d’Haldimand. C’était donc la mort certaine qui le guettait d’un côté ou de l’autre. Mais pis que cela… c’était également la mort certaine pour son sosie, Pierre Darmontel, du moment que le subterfuge serait éventé, et c’était peut-être exposer M. Darmontel et sa fille aux pires représailles d’Haldimand, que deux morts d’homme ne pourraient satisfaire. Sans compter que c’était aggraver le cas de Du Calvet, c’était peut-être le vouer à une mort qu’on ne méditait pas encore contre lui, et c’était frapper du même coup. Mme Du Calvet et son fils !

Saint-Vallier ne put s’empêcher de frissonner à ces terribles pensées !

Et, dans une seconde de faiblesse, il se sentit perdu… il vit Pierre Darmontel perdu… il vit Du Calvet perdu… il sentit que tout sombrait sous ses pieds… il entrevit un gouffre insondable…

Pourtant il n’eut pas peur !

La seconde de faiblesse ne fut qu’un éclair.

Saint-Vallier, avec son audace, sa souplesse, son agilité, son sang-froid, entrevit, après le gouffre, une lueur de vie et d’espoir. Si peu que c’était, il voulut conserver tout de même cette lueur.

— Qui êtes-vous ? interrogea encore une fois la voix menaçante de Foxham.

Lentement, doucement, Saint-Vallier introduisait la main droite sous son manteau.

— Vous voulez le savoir ? dit-il en déguisant sa voix.

— Parlez, répliqua Foxham, ou je fais feu !

— Voici ! cria Saint-Vallier.

À la seconde même il tirait un pistolet et le déchargeait sur le groupe d’hommes devant lui. L’un d’eux tomba foudroyé, mais ce n’était pas Foxham. Car, à la même seconde également, ce dernier déchargeait à bout portant son pistolet sur le jeune homme, de sorte que les deux détonations se confondirent presque en une seule.

Saint-Vallier se sentit atteint à l’épaule gauche.

Par un rapide mouvement il lança son pistolet contre la lanterne qui se brisa et s’éteignit.

Foxham jeta un cri de rage ;

— Saisissez-le ! hurla-t-il à ses hommes.

Mais que faire dans la noirceur d’encre qui venait d’envelopper choses et êtres !

Saint-Vallier venait de prendre son poignard à l’instant même où des bras cherchaient à se saisir de lui. Il se mit à frapper au hasard de son arme, et cette arme pénétrait dans les chairs, elle grinçait, elle déchirait, elle perçait… Les soldats et Foxham lui-même s’étaient rejetés dans le fond du cachot, qui maintenant retentissait des rugissements de fureur de Saint-Vallier et des cris de douleur et des râles d’agonie de ses ennemis. Et le jeune homme, comme un tigre ivre de sang, frappait toujours… il sentait du sang chaud rejaillir sur lui, son haleine féroce se mêlait à l’haleine épouvantée des soldats anglais, les jurons et les imprécations se confondaient… Et Saint-Vallier frappait si fort et si rapidement que son bras commença de faire mal. Il songea à fuir…

Foxham venait de pousser un terrible appel au secours.

Et Saint-Vallier, aussitôt, entendit une vague rumeur de voix humaines s’élever dans les flancs du navire.

Il fit un bond au hasard, mais à reculons… il heurta le cadre de la porte du cabanon… d’un autre bond il se trouva au pied de l’échelle qu’il grimpa en moins de trois secondes. Puis il courut au pont intérieur, dans la noirceur toujours, mais certain de trouver sa voie.

Il n’était pas à moitié chemin qu’à l’extrémité opposée parut la clarté d’une lanterne, cette clarté venait vers lui, derrière il distinguait des ombres humaines, et ces ombres accouraient…

Le poignard sanglant levé et tête baissée, Saint-Vallier se rua contre ces ombres. Un choc violent se produisit… il y eut des cris