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cien, l’on n’aurait pas fait la substitution qui aurait été inutile. Mais il s’est trouvé que cette clef ne travaillait pas, alors on a tout simplement crocheté le vieux cadenas pour le remplacer par le nouveau. Et cela nous explique, car l’opération était très délicate, que celui ou ceux qui s’occupent de Du Calvet sont gens du métier.

— En ce cas, on peut donc aisément expliquer la disparition du factionnaire sur « Le Requin » dans la nuit de samedi à dimanche ?

— Parfaitement. Et, comme vous le disiez hier, il est très urgent de transférer Du Calvet dans un autre cachot.

— Ici ? interrogea anxieusement Foxham.

— Oui, le général est d’accord avec nous.

— C’est bon, sourit Foxham avec haine, cela sera fait dans le cours de la nuit prochaine. Mais allons sur « Le Requin », je veux de mes yeux étudier cette affaire de cadenas. Avez-vous interrogé Du Calvet ?

— Pas moi, mais le commandant Fordwell. Le prisonnier a refusé de répondre, se contentant de dire qu’on avait la berlue.

— Oh ! sourit Foxham tandis qu’un éclair terrible illuminait rapidement ses regards, je voudrais bien trouver un indice qui me mît sur la trace de l’audacieux qui a pénétré jusqu’au cabanon de Du Calvet, car je vous jure, colonel, que cet homme n’aurait plus nulle chance de m’ôter ma vengeance !

Puis, subitement et aussi rapidement que passe la lueur d’un éclair, un nom traversa sa pensée… un nom qui le fit frissonner et de haine et d’effroi :

Saint-Vallier !…

Mais Foxham n’eut garde de faire part à Buxton du soupçon qu’il venait d’avoir, il voulait se réserver pour lui seul la solution d’un mystère dans la confiance de ses chefs et pourrait en même temps lui procurer une montée en grade.

Il esquissa un nouveau sourire, un sourire tout à fait indéchiffrable et pénétra dans sa chambre pour s’habiller.

Quelques instants après, les deux officiers anglais se rendaient à bord du « Requin ».

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À peu près à la même heure, quatre des plus gros bourgeois de la cité de Québec, et parmi eux un commerçant anglais sympathique à la race française du Canada, ayant à leur tête M. Darmontel, se présentaient devant le lieutenant-gouverneur pour lui demander la liberté de Du Calvet en attendant qu’il fut traduit devant ses juges ; ces quatre personnages se portaient garants du gentilhomme huguenot.

— Monsieur le gouverneur, avait dit Darmontel qui s’était fait le porte-parole de ses compagnons, voici un bon sujet de l’Angleterre, un citoyen intègre, un homme honorable, un père qui souffre terriblement dans sa captivité. L’âge et la constitution de ce grand travailleur, qui se voit tout à coup réduit à la plus entière oisiveté, ne pourront supporter longtemps les affreuses souffrances de la réclusion. Cet homme, qui a pour sa famille une véritable adoration, ne pourra vivre longtemps ainsi séparé de sa femme et de son fils. Vous voyez donc là un malheureux, et non un malfaiteur. Et si, monsieur le gouverneur, ce malheureux a pu commettre quelque faute que vous avez jugée répréhensible, nous vous assurons qu’il est prêt à en souffrir toute la responsabilité et à paraître devant les juges que vous lui choisirez. S’il a commis une faute, c’est donc qu’il en sait le mobile et les raisons, et ces raisons il les fera valoir devant ses juges qui pourront ensuite décider du plus ou moins de gravité de la faute. C’est un homme honnête et loyal, il dira la vérité qu’il n’oserait taire pour éviter un châtiment, et votre justice n’aura rien souffert ; au contraire, elle en sera plus honorée et respectée par la générosité que vous aurez montrée à l’égard de monsieur Du Calvet. Encore une fois, je vous déclare que nous nous rendons responsables de sa personne, et nous vous promettons solennellement qu’au jour de l’assignation devant ses pairs Du Calvet sera présent. Monsieur le gouverneur, vous connaissez assez notre dévouement à notre pays comme notre loyauté au grand pays et au grand roi que vous représentez, pour que vous soyez tout enclin à nous accorder l’immense faveur que nous venons solliciter à vos pieds, et nous sommes déjà persuadés que vous accueillerez favorablement notre humble demande.

Haldimand était demeuré froid, sévère, hautain.

Il répondit d’une voix sourde et rude :

— Messieurs, je comprends bien les sentiments qui vous ont fait entreprendre cette démarche auprès de nous. J’ai bien le regret de ne pouvoir accéder au désir que vous exprimez. Je suis forcé de me conformer aux lois qui régissent cette administration dont je ne suis que le serviteur. Et ces lois sont formelles : nul prisonnier ne pourra, durant la période, préventive, jouir d’une liberté provisoire ! C’est clair, et je ne sau-