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liberté provisoire, comme il me l’a refusée à moi-même.


— Je suis certain qu’il n’accordera pas plus pour moi cette liberté, dit Du Calvet.

— En ce cas, répliqua avec énergie Saint-Vallier, je vous garantis, moi, cette liberté.

— Vous !…

— Oui. Demain, monsieur, dans la nuit, vous serez en liberté. Naturellement, il sera dangereux pour vous de demeurer dans le pays ; alors je tiendrai à votre disposition un petit navire avec un équipage canadien qui m’est tout à fait dévoué, et ce navire vous transportera en Nouvelle-Angleterre où vous demeurerez, en attendant que vous puissiez revenir dans votre pays adoptif sans danger ni pour vous-même ni pour votre famille.

— Ma femme et mon fils m’accompagneront donc sur ce navire ? demanda Du Calvet avec émotion.

— Pas précisément. Mais soyez tranquille, Mme Du Calvet et votre fils iront vous rejoindre.

Du Calvet ne pouvant contenir davantage les sentiments de joie inouïe qui emplissaient son esprit et son cœur, prit le jeune homme dans ses bras et le serra longuement.

— Mon ami ! mon ami !… murmura-t-il.

Il se mit à pleurer doucement.

À l’instant même, dans la nuit silencieuse, un chant joyeux retentit… un chant qui paraissait se rapprocher peu à peu du navire.

— Oh ! s’écria Saint-Vallier en se levant avec précipitation, je parie que ce sont les marins de ce navire qui reviennent ! Je vous laisse, monsieur… mais je reviendrai demain !

Il sortit vivement, referma la porte et posa le cadenas qu’il avait apporté avec lui.

La minute d’après, il s’élançait vers le pont supérieur…

Demeuré seul, Du Calvet, tout heureux de cette vision de liberté qu’on venait de lui montrer, murmura :

— Ô Saint-Vallier ! de ce jour Du Calvet te voue sa gratitude entière, celle de sa femme et celle de son fils ! Ô Canadien ! ô héros !… tu es bien le digne fils de la race !…


VII

L’INUTILE DÉMARCHE


À peu près à la même heure où Saint-Vallier pénétrait dans le cachot de Du Calvet, deux personnages s’entretenaient du prisonnier dans une pièce, aménagée en living-room, des casernes de la rue Champlain. L’un de ces personnages était ce Daniel Foxham, lieutenant d’infanterie, qui avait opéré l’arrestation de Du Calvet ; l’autre, grand, maigre, sec et âgé d’une cinquantaine d’années, était le colonel Sir William Buxton, l’un des conseillers et factotums du lieutenant-gouverneur. Buxton, tout comme Foxham, était un ennemi irréductible de la race française du Canada.

Le colonel disait :

— Nous avons examiné les papiers que vous avez saisis chez Du Calvet, et ces papiers nous ont fourni des renseignements très importants sur les agissements de cet homme. On peut dire qu’il est condamné !

Et le colonel esquissa de ses lèvres blêmes et pincées un sourire de cruel contentement.

— Mais tenez compte, dit Foxham, que Du Calvet se défendra… il se défendra même âprement, soyez-en sûr !

— Vous voulez dire qu’on le défendra ?…

— N’importe ! Nous savons qu’il a des amis très influents.

— Pensez-vous que ces amis pourront influencer les juges ?

— Peut-être !

— Eh bien ! non, répliqua sèchement le colonel, les amis seront muselés ! Oh ! nous sommes habiles à ce jeu, sourit avec présomption le colonel.

— Oh ! reprit Foxham avec haine, pour ma part je souhaite de tout mon cœur que cet homme soit condamné !

— Il le sera, je vous le répète, parce qu’il importe qu’il disparaisse !… Et d’autres… après ! ajouta sourdement le colonel après une courte pause.

— Oui, oui, dit Foxham, Du Calvet d’abord, les autres ensuite !

— Mais dites-moi, sourit Buxton, vous me paraissez haïr beaucoup ce français ?

— Le haïr ! ricana Foxham… il n’y a pas de mot capable d’exprimer le sentiment qui m’étreint le cœur ! Jamais je n’oublierai le hautain mépris de cet homme, quand j’allai l’arrêter, et non plus l’outrage de son fils à ma personne !

— Son fils aussi ? fit avec curiosité Buxton.

— Monsieur, prononça lentement Foxham et en accentuant chaque mot, ce jeune coq a osé me mettre sur la gorge la pointe d’une épée !

— Ho !… fit le colonel, comme s’il eût été outragé lui-même.

— Et si le général, reprit Foxham, m’avait donné cet ordre « Mort ou vivant », je lui aurais apporté un cadavre… deux cadavres.

— Le lion et le lionceau ? sourit le colonel avec sarcasme.