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en bas une sorte de carré pouvant mesurer environ six mètres sur un sens et sur l’autre. Il sourit et descendit l’échelle. Là, il se trouva devant quatre portes, et quatre portes de fer fermées par des verrous solides et des cadenas. Trois de ces portes étaient plus larges et plus hautes que la quatrième.

Alors Saint-Vallier tira d’une de ses poches un petit carré de papier et l’examina attentivement. Ce petit papier était couvert de lignes et de chiffres.

— Bon ! murmura-t-il, ces portes sont les magasins d’armes, de munitions et de provisions de bouche. Donc la porte que je cherche est celle-ci !

Et il tourna la lueur de sa lanterne vers la plus petite des portes, qui se trouvait juste au pied de l’échelle, à gauche. Alors il constata pour la première fois qu’une faible lueur filtrait sous la porte, mais cette lueur était si faible qu’il fallait la deviner.

— Maintenant, se dit Saint-Vallier, il s’agit de savoir si je suis devant le bon cabanon, c’est-à-dire celui que je cherche. Une chose sûre, il y a là un être humain, un prisonnier. Qui est ce prisonnier ?… Si c’était un matelot qu’on aurait enfermé là pour indiscipline !

Que faire ?

Saint-Vallier n’était pas venu si loin pour rien ; il n’avait pas tant risqué pour le simple plaisir de venir faire une incursion nocturne dans un navire de guerre anglais.

Il frappa doucement à la porte et prêta l’oreille.

Nul bruit…

Il frappa de nouveau et plus fort.

Cette fois il crut entendre le bruit d’un siège qu’on dérange. Il sourit.

Il frappa encore.

Un pas s’approcha de la porte, mais pour s’arrêter aussitôt comme craintif.

Saint-Vallier frappa à nouveau.

Alors, de l’autre côté de cette porte, une voix… mais une voix française demanda :

— Qui est là ?

Saint-Vallier se sentit tellement ému qu’il pensa pousser un cri de joie. Il se contint et demanda à voix basse :

— Vous qui êtes enfermé là, n’êtes-vous pas Pierre Du Calvet ?

— Qui donc parle ainsi et qui êtes-vous, vous qui me connaissez ?

Dans ces paroles le jeune homme saisit une très vive émotion.

— Monsieur, répondit-il, je suis un ami. Tout le pays vient d’apprendre avec consternation votre arrestation ordonnée par Haldimand. Moi, j’ai été informé aujourd’hui même que vous étiez enfermé à bord de ce brick. Or, j’ai voulu m’assurer de la location exacte de votre prison.

— Mais qui êtes-vous ? demanda encore la voix de Du Calvet.

— Saint-Vallier !

Le jeune homme entendit une exclamation de stupeur.

— Mon nom vous surprend ? demanda-t-il.

— Oui… parce que je croyais que monsieur Saint-Vallier était, ainsi que moi-même, prisonnier d’Haldimand.

— C’est vrai, monsieur, je suis bien l’un des prisonniers d’Haldimand.

— Mais alors, vous êtes enfermé voisin de moi ? fit la voix stupéfaite de Du Calvet.

— Pas précisément, monsieur. Ma prison est en la ville de Québec d’où je viens pour découvrir la vôtre. Aussi, comme des explications seraient trop longues, je vous prie de prendre patience et de ne pas désespérer. Je viendrai un de ces soirs vous rendre une plus longue visite. Je vais me contenter d’examiner le cadenas de votre porte, et il faut que je fasse vite pour ne pas m’exposer à être surpris ici.

À la lueur de la lanterne Saint-Vallier examina attentivement le cadenas. Puis il sourit et dit :

— Monsieur, je sais tout ce que je voulais savoir, et le hasard me favorise. Je vous souhaite donc bonne nuit. Je reviendrai un soir, une nuit, je ne sais à quelle heure, car il n’est pas facile de s’introduire ici, en ce sens qu’on y risque gros. Mais je vous laisse l’espérance. On s’occupe de vous et je vous prie de croire que vous respirerez bientôt l’air de la liberté.

— Dieu vous entende, monsieur ! Ah ! c’est la vie que vous m’apportez dans mon tombeau !

— Espérez donc, monsieur !…

Et en même temps que ces paroles le jeune homme grimpa lestement l’échelle. Il refit rapidement le chemin qu’il avait parcouru quelques instants auparavant. Il se vit bientôt au pied de l’écoutille. Alors il respira avec un grand allègement. Il lui avait semblé qu’il était demeuré un siècle dans les flancs de ce navire, où à tout moment il avait redouté d’être surpris par quelque marin ou tout autre personne attachée au navire.

Après avoir remis à sa place la lanterne du couloir, Saint-Vallier monta l’escalier de l’écoutille. Mais en posant ses pieds sur le pont il se heurta à un individu, que peu après il crut reconnaître pour le veilleur. Celui-ci à l’instant même, rude gaillard qu’il était