Page:Féron - Les cachots d'Haldimand, 1926.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mes heures, et qui venait une fois toutes les heures jeter un regard par le judas de la porte, Saint-Vallier aurait pensé qu’il avait été oublié du monde.

Et alors, avec ces jours de printemps si beaux, si resplendissants, chose singulière, le prisonnier s’assombrit pour la première fois… il commençait de désespérer. Mais il n’eut garde de le laisser voir à son gardien : comme à l’ordinaire, ce dernier ne trouva devant lui qu’une figure réjouie, des lèvres souriantes, des yeux pleins de malice.

Une nuit, et c’était la première fois encore, Saint-Vallier avait pleuré… c’était dans son premier sommeil. Il s’éveilla brusquement, constata que des larmes, dont ses paupières étaient encore humides, avaient mouillé son oreiller. Il se leva d’un bond courroucé.

— Hein ! pleurer, moi… murmura-t-il avec étonnement, non, ce n’est pas possible !

Il frotta ses yeux avec violence à ce point qu’ils firent mal.

— Non… ajouta-t-il, je n’ai pas pleuré… c’est la fraîcheur de la nuit !

Il partit d’un long éclat de rire, et ce rire résonna dans la nuit, hors les murs de son donjon… Des sentinelles dehors, sur la place, avaient vivement tressailli.

Mais Saint-Vallier s’était tu à la même seconde, et sur ses traits livides une expression d’étonnement s’était peinte. Puis il s’était baissé vers le parquet de son cachot pour écouter un bruit singulier qui venait de frapper son ouïe pour la première fois. Et ce bruit semblait se produire sous le lit de camp. Pendant deux heures il entendit, comme un être quelconque qui accomplissait en bas, à l’étage inférieur, une besogne mystérieuse. Mais cet être, était-ce un être humain ? Le bruit cessa tout à coup, Saint-Vallier n’entendit plus rien. Il se recoucha et s’endormit. Il rêva le reste de cette nuit qu’un rat énorme rongeait peu à peu les murs de sa prison pour lui donner la liberté.

Le lendemain il se mit à rire de ce rêve fou, et il n’y pensa plus.

Et pour chasser la souffrance il se replongea dans ses méditations et ses projets ; pour lui le rêve valait mieux que la réalité.

Ce soir-là, il rêva plus tard que d’habitude. Après avoir éteint sa bougie, il s’accouda à sa table et laissa errer son regard dans le ciel étoilé. Il s’endormit là. Il s’éveilla brusquement dans la noirceur, prêta l’oreille, n’entendit nul bruit que le pas monotone et accoutumé des sentinelles sur la place, puis comme sa tête était très lourde, il se jeta tout habillé sur son lit et se rendormit profondément.

Deux heures s’écoulèrent et tout à coup Saint-Vallier bondit sur son lit… car sous ce lit quelque chose remuait. Il entendait une respiration d’homme ou de bête, il ne pouvait préciser, puis il sentit un choc contre le matelas du lit. En même temps une voix, bien humaine celle-là, murmurait :

— Est-ce toi, Hector ?… Que diable ! ne peux-tu ranger ton grabat pour que je me tire de mon trou ?

Saint-Vallier haleta, se jeta en bas de son lit et gronda avec une joie insensée :

— Pierre !… Pierre !…

Il fit entendre comme un rugissement de bête fauve, repoussa violemment le lit de camp, courut à sa table, alluma sa bougie et demeura vacillant de folie devant la silhouette rieuse de Pierre Darmontel, son frère de lait.

Ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre.

— Dis-moi… répète-moi, Pierre, murmura Saint-Vallier, que je ne rêve pas et que je ne suis pas fou !

— Si tu es fou, Hector, je le suis également.

— Mais tu es donc revenu d’Europe ?

— Naturellement, puisque je suis ici.

— Depuis quand ?

— Que je suis ici ?

— Non… depuis que tu es revenu de là-bas ?

— Dix jours exactement.

— Et tu as réussi…

— À te déterrer ? Parfaitement. Tiens regarde, vois mon œuvre ! Deux nuits de travail… c’est simple comme tout !

— Tu es merveilleux !

— Rappelle-toi que je suis fils d’artisan, se mit à rire Pierre Darmontel ! J’ai laissé mes outils en bas, je les reprendrai en m’en allant.

— Mais n’y a-t-il pas de danger pour toi ?

— Aucun… c’est simple comme tout, je te le répète. Donc demain soir, ce serait trop long à t’expliquer, tu pourras aller faire un tour dans l’air de la liberté, pendant que je te remplacerai ici !

Alors les deux jeunes gens se mirent à rire doucement, ils se comprenaient.

Et alors aussi, si Haldimand se fût trouvé là à cette minute, il serait tombé de surprise en reconnaissant deux Saint-Vallier… les deux frères de lait se ressemblaient toujours comme deux frères jumeaux…