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— Vous ne toucherez pas à mon père !

On sentait que de part et d’autre l’impatience naissait, que la colère grondait, que la mèche brûlait rapidement vers la poudre.

En effet, l’officier, blême et rugissant de rage, recula ; puis il marcha rapidement vers la porte qu’il ouvrit en criant :

— Soldats, à l’ordre !

À l’instant même le fils de Du Calvet courait à la table, prenait les rapières, donnait l’une à Chartrain, l’autre à son père, et lui-même, la lame au poing, se plaça résolument devant son père pour le détendre.

Les soldats étaient accourus pour s’arrêter, stupéfaits et un peu intimidés, à la vue des trois hommes la rapière à la main et à l’air déterminé, ils ne franchirent même pas le seuil de la porte.

Foxham, l’officier anglais, devant les rapières menaçantes, se contenta de sourire avec mépris et dit :

— Messieurs, je vous conseille de déposer ces armes… voyez ces hommes !

Il indiquait les soldats qui, revenus au calme et le fusil au bras, n’attendaient qu’un ordre de leur officier pour épauler et faire feu.

Du Calvet comprit. Il jeta sa rapière en disant :

— Mon fils, éloigne-toi ! Vous, Chartrain, remettez cette rapière à sa place, nous ne sommes pas de force !

Mais à la même minute Louis Du Calvet se ruait, la rapière en avant, contre l’officier et les soldats.

Mme Du Calvet poussa un long cri de détresse et courut à son mari.

— Arrête ! cria Du Calvet à son fils sur un ton autoritaire.

Le jeune homme s’arrêta, mais à deux pas seulement de l’officier anglais… il s’arrêta, parce que Foxham venait d’exhiber un pistolet dont il le menaçait.

Le jeune homme fit entendre un sourd rugissement ; puis, tout à coup, la rapière jeta une vive lueur d’éclair, un coup de pistolet retentit, une balle alla trouer le plafond, puis l’arme à feu s’échappa des mains de l’officier, vola, et à dix pieds alla frapper une jardinière en porcelaine qui éclata en miettes. Et la seconde d’après, Louis Du Calvet, terrible, farouche, triomphant, clouait de sa rapière Foxham au mur… et une légère poussée de la main, l’officier pouvait tomber, le cœur percé de part en part.

— Commandez à vos soldats de sortir ! dit le jeune homme sur un ton impératif.

Livide, tremblant de rage et de peur, Foxham fit un geste à ses soldats, puis il se mit à ricaner.

— C’est bien, tuez-moi ! dit-il à Louis Du Calvet qui ne le quittait pas de l’œil.

Alors, dans l’accent de l’anglais, dans ses yeux chargés de haine et de triomphe qui fixaient ardemment les regards sombres du jeune homme, celui-ci crut deviner sa pensée.

Il jeta un rapide coup d’œil vers les soldats… Il frissonna, recula lentement en rugissant, tel le lionceau qui veut défendre sa mère et qu’on capture, puis il lança loin de lui sa rapière qui alla se briser contre un meuble. Louis Du Calvet, dompté, mais non vaincu, avait regardé les soldats, et il avait vu quatre fusils et leurs canons dirigés contre son père, Chartrain, sa mère et lui-même ! Une seconde… un signe de Foxham et quatre êtres humains tombaient foudroyés. Le jeune homme avait terriblement frémi… il avait failli, par un geste trop précipité contre l’ennemi, donner la mort à son père et à sa mère !

Il tomba sur un siège en étouffant de rage impuissante.

— À présent, monsieur, dit l’officier à Du Calvet avec triomphe et mépris, avez-vous pris une décision ?

Toujours calme, toujours sévère, toujours hautain, Du Calvet répondit :

— C’est bien, je vous suivrai.

Les soldats abaissèrent leurs armes sur un signe de Foxham, qui se mit à essuyer du sang à son poignet droit : la rapière de Louis Du Calvet avait éraflé la chair.

Du Calvet, après avoir embrassé sa femme longuement, marcha dignement vers son fils, le baisa au front et dit d’une voix frémissante d’émotion :

— Mon fils, s’il me faut à mon tour aller mourir dans les cachots d’Haldimand, j’y vais avec la pensée que tu sauras venger hautement ma mort et l’outrage fait à ton père et à ta race !

— Mon père, répondit le jeune homme en se dressant, ayez confiance en moi, je saurai vous venger comme il faut !

En même temps il laissa peser sur Foxham son regard farouche, et il prononça, terrible :

— Monsieur, n’oubliez pas de dire à votre maître que, si le lion est captif et gémit, le lionceau est libre et rugit !…

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C’était une parole imprudente… peut-être l’ennemi, mis sur ses gardes, trouverait-