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ter, mon père ? intervint le jeune homme avec indignation.

— Mon fils, reprit Du Calvet froidement, sachons d’abord ce que veulent ces soldats et cet officier.

Puis se tournant vers sa femme il ajouta sur un ton plus grave :

— Ma chère amie, il ne faut pas que vos yeux soient témoins de scènes disgracieuses ; je vous prie donc de vous retirer et d’attendre en pleine confiance que l’incident soit clos.

— Mon ami, répliqua avec calme Mme Du Calvet, permettez-moi de rester près de vous ; je vous ai déjà dit que je suis prête à partager tous vos dangers.

Du Calvet sourit et répondit :

— J’admire votre courage et je me réjouis de l’amour qui vous anime pour moi. Demeurez donc !

Puis avec un geste brusque au domestique qui hésitait à exécuter l’ordre reçu, il dit :

— Allez, Laurent… il me semble que je ne commande jamais qu’une fois !

Le serviteur baissa la tête et sortit.

Alors, calme et froid, le fils de Du Calvet marcha vers une panoplie qui exhibait une belle variété d’armes de toutes espèces. Il s’arrêta, regarda l’ami de son père et demanda :

— Monsieur Chartrain, vous savez manier une rapière, n’est-ce pas ?

— Un peu, mon jeune ami, sourit Chartrain ; mais je dois avouer que je ne suis pas un maître.

— Qu’importe ! monsieur, vous pourrez toujours faire barrière !

— Que médites-tu, Louis ? demanda Du Calvet, sévère.

— Mon père, je veux vous défendre seulement, répondit froidement le jeune homme.

Il décrocha trois rapières, alla les déposer sur la table et ajouta :

— Monsieur Chartrain, voici la vôtre au cas où il serait besoin de s’en servir. Celle-là, pour vous, mon père. Celle-ci, pour moi.

Du Calvet, Chartrain et Mme Du Calvet regardaient ce jeune homme, qui n’était encore qu’un enfant, avec une admiration grandissante.

Laurent venait d’introduire un officier de l’armée anglaise. Les soldats qui l’accompagnaient avaient reçu instructions de demeurer dans le vestibule.

Du Calvet, le premier, prit la parole.

— Monsieur, dit-il sur un ton un peu hautain, j’apprends que vous venez de frapper à ma porte avec, sur vos talons, une escorte de soldats ; voulez-vous me dire de quelle mission vous avez été chargé ?

— J’obéis, monsieur, aux ordres de mon supérieur, le général Haldimand, qui m’a muni d’un mandat d’arrestation contre votre personne.

— Ah ! ah ! se mit à rire Du Calvet avec sarcasme. Monsieur le gouverneur a donc découvert que j’ai commis quelque crime affreux ?

— Monsieur, répliqua sèchement l’officier, je n’ai rien à discuter ici ; je n’ai que mon devoir à remplir.

— Mais enfin, s’écria Du Calvet avec plus de hauteur, lorsqu’on vient pour arrêter un homme, on est censé en savoir la raison ?

— Ceci ne me regarde pas.

— Asseyez-vous, monsieur, commanda Du Calvet. Vous n’avez rien, dites-vous, à discuter ? Eh bien ! il se trouve que moi j’ai quelque chose à discuter.

— Monsieur, répliqua l’officier, je ne veux pas manquer de courtoisie…

— Parbleu ! interrompit Du Calvet, il ne manquerait plus que cela qu’on vienne me manquer de courtoisie dans ma maison !

— Mais je dois vous dire, repartit l’officier un peu intimidé cette fois, qu’il m’incombe de remplir mon mandat sans retard ; laissez-moi donc vous demander si vous êtes disposé à me suivre de bon gré ?

— Cela dépend, monsieur, répondit Du Calvet avec un grand calme mêlé d’une légère ironie, si c’est pour une raison que je ne peux contester, je me soumets aux ordres du gouverneur. Mais si c’est pour le simple motif de rendre visite au général Haldimand, je vous prie de croire que vous serez forcé de retourner comme vous êtes venu, en emportant, toutefois, cette communication que je vous prierai de faire à votre maître : « Que j’aurai l’avantage de lui rendre visite d’ici un mois ».

— Monsieur, répliqua l’officier, je regrette de ne pouvoir accepter cette communication ; vous me suivrez aujourd’hui et à l’instant, de gré ou de force.

— Ho ! ho ! fit Du Calvet avec ironie, vous y allez avec moi d’un ton qui ne me convient guère !

L’officier fit un pas vers Du Calvet, on voyait que la colère le gagnait peu à peu.

Le fils de Du Calvet s’interposa.

— Monsieur, dit-il à l’officier, je vous défends d’approcher davantage, et je vous somme même de rétrograder.

Son geste était impérieux, sa voix ferme était tranchante comme une lame d’épée.

Il ajouta sur un ton résolu :