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— Et il est toujours dans son donjon ? demanda Du Calvet tellement intéressé par l’histoire de ce jeune homme qu’il oubliait la menace qui planait sur lui.

— Oui, il paraît, répondit Chartrain.

— Et cela, depuis combien de temps ?

— Mon Dieu ! voilà bien près d’une année.

— Et pensez-vous qu’on me traitera comme on traite Saint-Vallier ?

— Vous avez des ennemis terribles, il faut vous défier !

— Oui, je sais, des ennemis implacables, murmura Du Calvet qui reprit sa marche. Oui, des ennemis mortels, reprit-il comme s’il se fut parlé à lui-même, parce que j’ai sondé la plaie à l’endroit le plus sensible. Mais c’était nécessaire, à cause de la gangrène qui pouvait s’y mettre. J’ai cherché à écarter le pied de fer qui tente de nous écraser, et c’était encore nécessaire et c’était un devoir qui incombe à tout homme de ma race. J’ai voulu briser les chaînes qu’on forge peu à peu autour de nous, et c’était toujours nécessaire si nous ne voulions pas nous voir réduits à l’état d’esclaves. On frappait le paysan de corvées abominables, j’ai protesté. On emprisonnait, sans raison aucune, les défenseurs de notre nationalité française, j’ai protesté. On empiétait sur des droits reconnus à notre population française, j’ai élevé une voix sévère. Oui, oui, à cause de toutes ces protestations justes l’on m’en veut. Non seulement l’on me cherche noise, mais l’on veut encore me réduire à l’impuissance. Oh ! il se peut bien que la force opprime la faiblesse, mais ce ne sera que pour un temps, car on n’abat pas facilement l’énergie française. Nous possédons encore trop l’âme de notre race pour qu’on nous étouffe sitôt. Serions-nous écrasés tout à fait, que j’espérerais encore que cette âme, faite de si bonne trempe, se redresserait plus fière, plus vaillante, plus forte ! Ah ! non… l’oppression n’est pas une arme de longue durée, elle se brise vite en des mains qui la manient ! Elle croit frapper des chairs, elle frappe des rocs, elle s’ébrèche, elle casse, tombe en tronçons ! Et le roc est à peine émietté, il se dresse toujours plus solide contre l’assaut ! Telle est notre chair, tel est notre sang, telle est notre âme française !…

Il fut interrompu par l’entrée du domestique.

Du Calvet s’arrêta et demanda de sa voix tranquille :

— Eh bien ! mon ami, est-ce encore un visiteur ?

— Monsieur, ce sont des soldats qui sont à la porte, répondit le serviteur d’une voix tremblante.

— Des soldats ! fit Du Calvet avec surprise.

— Ô mon Dieu ! Pierre, s’écria avec émoi Mme  Du Calvet, ce sont les envoyés du gouverneur anglais !

— Trop tard ! prononça Chartrain consterné.

— Monsieur, releva une voix grave et ferme, il n’est jamais trop tard !

C’était le fils de Du Calvet qui s’avançait, fier et énergique, presque redoutable.

Il ajouta en marchant vers la porte :

— Mon père, je vais moi-même recevoir ces gens !


II

LE LIONCEAU


— Non, mon fils… demeure ! ordonna Du Calvet.

Le jeune homme s’arrêta, indécis.

— Mon ami, proposa Chartrain à Du Calvet, si vous voulez parlementer avec ces gens, j’irai pendant ce temps avertir nos amis qui accouront pour vous défendre ?

Du Calvet sourit et répliqua :

— Je vous le défends, Chartrain, pour la bonne raison que nous ne sommes pas sûrs que ces gens viennent expressément pour m’arrêter.

Il demanda aussitôt au domestique :

— Laurent, combien de soldats avez-vous comptés ?

— Quatre soldats, monsieur, commandés par un officier.

— Quatre soldats et un officier… répéta doucement et méditatif Du Calvet en se remettant à marcher. Oui, reprit-il, c’est à peu près ce qu’on dépêche d’habitude pour faire l’arrestation d’un homme, même si cet homme n’a commis aucun crime.

Il s’arrêta près du domestique et demanda :

— Cet officier a-t-il dit son nom ?

— Le lieutenant Foxham.

— Foxham… murmura Du Calvet en baissant la tête pour réfléchir. Ce nom ne m’est pas inconnu tout à fait.

— C’est cet officier, dit Chartrain, qui a opéré l’arrestation de Saint-Vallier.

— Vraiment ?

Du Calvet sourit, puis avec un calme extraordinaire il commanda au domestique :

— Laurent, faites entrer ces soldats !

— Mais vous n’allez pas vous laisser arrê-