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vos amis sont là… Haldimand a assez jeté des nôtres dans ses cachots, cela va finir.

— Ah ! quel affreux tyran ! s’écria Du Calvet avec un profond mépris en se mettant à marcher par l’immense pièce. Mais dites-moi, mon ami, reprit-il après un silence et en s’arrêtant devant son visiteur, par quelle voie avez-vous appris cette nouvelle ?

— Elle nous a été apportée de Québec par Lefaivre qui en revient.

— Lefaivre… l’imprimeur ?

— Il a été lui-même menacé par Haldimand en personne à qui il était allé demander certains privilèges qui, naturellement, lui ont été refusés.

— Ah ! ah ! je parie qu’on a deviné que nos pamphlets avaient été imprimés par Lefaivre.

— Cela est possible, bien que l’imprimeur de ces pamphlets ait été recherché dans la ville de Québec.

— Il ne pouvait en être autrement, puisque je m’étais arrangé de façon que ces pamphlets eussent l’air d’être sortis de quelque imprimeur secret de la ville de Québec.

— C’est ce qui fait que n’ayant pu découvrir cet imprimeur mystérieux, Haldimand a laissé tomber ses soupçons sur Lefaivre.

— Pauvre homme ! soupira Du Calvet, je ne voudrais pas être la cause qu’il fût tyrannisé. Enfin, savez-vous quel jour ou à peu près, on va m’arrêter ?

— Demain. Car Lefaivre assure qu’un petit navire est parti de Québec samedi avec des soldats à son bord.

— Samedi ? fit Du Calvet. Mais je suis étonné qu’il ne soit pas ici déjà !

— Il aura pu faire escale quelque part, car ce navire n’a pas encore été signalé. Je souhaite bien qu’il n’arrive pas trop tôt, cela nous donnera le temps d’aviser à votre sûreté et de vous faire échapper aux gens d’Haldimand.

— Échapper ! dit rudement Du Calvet en relevant la tête avec défi. Vous voulez dire… la fuite ?

— Oui. Vos amis sont d’avis que vous cherchiez momentanément un refuge en Nouvelle-Angleterre où vous comptez des amis puissants.

— C’est vrai. Mais je ne fuirai pas, on croirait que j’ai peur. Non, je ne fuirai pas, cela ressemblerait trop à de la lâcheté. Qu’en pensez-vous, mon amie ? demanda Du Calvet à sa femme.

— Mon ami, répondit Mme  Du Calvet, je ne saurais vous donner un conseil qui pourrait plus tard me causer des reproches de votre part. Tout ce que je peux dire, c’est que je suis prête à partager tous les dangers qui pourront se dresser devant vous.

— Merci, je reconnais toujours votre sublime dévouement. Et toi, mon fils, que dois-je faire à ton avis ?

Le jeune homme regarda son père en face. De ses yeux bleus jaillirent des éclairs. D’une voix mâle, pleine de cette froide énergie qui en faisait tout le portrait de son père, il répondit :

— Ne fuyez pas, mon père, demeurez ! Vous défendrez votre liberté, et nous serons là à vos côtés pour vous prêter main-forte.

— Merci, mon fils, voilà un avis digne de toi. Je vois que tu tiens de l’homme et de la race, et cela m’enorgueillit en me réconfortant. Eh bien ! Chartrain, ajouta-t-il en se tournant vers son visiteur, nous résisterons aux envoyés d’Haldimand, puisque vous voulez bien m’aider. Et si je dis « résistance », ce n’est pas par crainte ni de ses cachots ni de ses chaînes, mais parce que j’ai là un travail inachevé et que je veux coûte que coûte terminer. Sans cela, je vous l’avouerai, je ne saurais résister à l’autorité pour la bonne raison que, n’ayant commis aucun crime, je ne redoute nullement la justice anglaise.

— Vous n’ignorez pas néanmoins, mon ami, que, tout innocents qu’ils sont, un grand nombre de nos compatriotes subissent actuellement les souffrances de la captivité. Et vous devez savoir qu’on leur refuse les procès qu’ils réclament, et qu’on les tient hors de tout contact avec l’extérieur.

— Oui, oui, je sais tout cela.

— Rappelez-vous Saint-Vallier, ce vaillant…

— Je ne le connais pas, mais on m’a parlé de lui. C’est ce jeune homme qu’on a jeté dans un donjon solitaire, et sur qui les sentinelles ont reçu ordre de tirer s’il ose seulement se montrer à sa fenêtre ?

— Exactement.

— Pauvre diable ! N’est-il pas apparenté à cet évêque défunt…

— Monseigneur de Saint-Vallier ?

— Oui… qui fut, dit-on, des années prisonnier du roi en Angleterre ?

— Il y a en effet une certaine parenté entre le père également défunt de notre jeune captif et l’évêque.

— Mais quel est son crime à ce jeune homme ?

— D’avoir dit en public que le pays ne pouvait davantage souffrir l’administration insensée d’un soldat fantasque.

— Il a dit une vérité.

— La plus vraie.