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LE SIÈGE DE QUÉBEC

s’asseoir, avec la bougie en ses mains, sur la dernière marche de l’escalier.

Le vieillard saisit la bêche et commença à creuser un trou.

Ce travail dura vingt minutes environ. Le coffre fut enveloppé dans une pièce de grosse toile fortement goudronnée, puis déposé dans le trou. L’homme, un peu essoufflé, se mit à rejeter la terre dans le trou et sur le coffre.

Alors seulement la femme parut soupirer avec soulagement, la bougie trembla dans ses mains : c’était la joie et la tranquillité qui revenaient après l’inquiétude. Maintenant que la petite fortune était sous terre, à l’abri de tous les regards cupides, elle respirait librement.

Mais le vieillard n’avait pas jeté trois pelletées de terre par-dessus le coffret que, là-haut, un poing rude frappa soudain dans la porte de la masure.

La femme bondit d’effroi.

L’homme tressaillit, interrompit son travail et écouta.

Le silence planait partout.

— On a frappé, dit-il.

— Oui, répondit la femme.

— Si c’était le capitaine Vaucourt qui revenait ?…

— Si s’étaient des voleurs !… fit la femme avec épouvante.

— Ou si c’étaient des Anglais !

Le même poing rude frappa encore, mais plus longuement et plus durement.

L’homme échappa sa pelle et grimpa rapidement et lestement l’escalier. Il appliqua sa bouche à un interstice de la trappe et demanda, en exagérant le tremblotement de sa voix cassée :

— Qui frappe ainsi à ma porte ?

Du dehors une voix nasillarde et forte commanda :

— Ouvrez, père Raymond !

Le vieux se tourna vers sa femme qui demeurait toute tremblante au bas de l’escalier.

— Qui ça peut bien être, je m’demande ? dit-il à voix étouffée.

— C’est un personnage qui nous connaît, puisqu’il a dit « père Raymond ».

— Alors, ça doit être un ami… une connaissance…

— Demande-lui son nom, vieux.

Le vieillard éleva la voix et demanda :

— Qui êtes-vous, vous qui prononcez mon nom ?

— Je suis un compère du bon vieux père Croquelin !

— Ah !… vous avez dit le père Croquelin !…

Le vieillard se pencha vers sa femme et demanda :

— Que penses-tu ? Faut-il aller ouvrir et savoir ce que c’est ?…

— Ben sûr, du moment qu’il s’agit du père Croquelin. Mais faudra pas laisser la trappe ouverte, parce qu’on pourrait avoir des soupçons qu’on possède quelque chose !

— T’as raison. Montons !

Le vieux gagna l’avant-dernière marche et souleva doucement et sans bruit le panneau de la trappe. Sa femme monta après lui et alla s’asseoir à la table après y avoir déposé le bougeoir.

La trappe ayant été refermée, le vieillard alla ouvrir sa porte.

Une terrible silhouette humaine se dessina à ses yeux… si terrible que le maître de la baraque ébaucha un geste d’épouvante, jeta un cri d’effroi et se recula avec horreur. La vieille, à son tour, se dressait de frayeur et lançait une clameur perçante.

Un sourd ricanement répondit à ces cris. Puis un étrange individu pénétra dans la bicoque et referma doucement la porte.

— Étrange !… avons-nous dit ?

En effet.

D’abord c’était une sorte de colosse par la taille géante, car pour entrer dans la masure il avait dû dans la porte ployer cette taille énorme. Son visage et ses mains étaient tout noirs de fumée ou de charbon. Était-ce un charbonnier ?… Sa tête n’était pas couverte, que par de longs cheveux ébouriffés, mouillés, à demi brûlés. Les vêtements du géant n’étaient plus que des lambeaux déchirés, roussis et dégouttant d’eau, comme si ces vêtements ou ces lambeaux avaient été placés dans un brasier ardent pour être ensuite retirés du brasier et trempés dans une cuve d’eau. Et cet être bizarre ricanait…

L’apparition était si effrayante, si fantastique, que le vieux mendiant s’écria après la première crise d’effroi :

— Êtes-vous le diable et sortez-vous de l’enfer ?

— Je ne suis pas le diable, père Raymond, se mit à rire le visiteur, rassurez-vous ainsi que votre fidèle compagne ; mais, tout de même, je sors bien de l’enfer !

— Vous sortez de l’enfer ! fit comme un écho assourdi la voix du vieux mendiant, qui jeta un regard éperdu vers sa femme.

Celle-ci venait de faire un rapide signe de croix pour murmurer en joignant les mains :

— Bonne Vierge du ciel, protégez-nous !

— Mais comment se fait-il que vous me connaissez ? interrogea le mendiant en maîtrisant un peu sa frayeur.

— Je vous l’ai dit : par le père Croquelin qui vous connaît. Or, je suis un ami du père Croquelin.

— Êtes-vous un mendiant aussi ?

— Pas toujours. Mais ce soir, oui ; je viens mendier un enfant !

— Un enfant ! s’écria la mère Raymond étourdie.

— Qui s’appelait, répliqua le personnage, Adélard Vaucourt.

— Adélard Vau…

La voix manqua tout à fait au vieux mendiant qui, tremblant, se laissa choir sur un siège près de la table.

— Et moi, continua le visiteur, je m’appelle Laurent-Martin Flambard.

— Flambard !…[1]

Avec ce nom à peine balbutié le mendiant bondit, se dressa, fit entendre un cri terrible

  1. Voir « La Besace d’Amour » et « La Besace de Haine » parus dans la même collection, envoyés chacun franco par la poste contre 30c.