Page:Féron - Le siège de Québec, 1927.djvu/87

Cette page a été validée par deux contributeurs.
85
LE SIÈGE DE QUÉBEC

diers, Pertuluis et Regaudin, qui venaient de confier de Loys à d’autres miliciens qui emportaient le jeune vicomte vers la cité.

— Mon général, dit Pertuluis en s’approchant, vous allez tomber !

— Prêtez-moi votre épaule, mes amis, sourit le général.

Les deux grenadiers se précipitèrent. Jean Vaucourt prit le cheval de Montcalm à la bride et le triste cortège, suivi par les miliciens, se dirigea lentement vers la Porte Saint-Louis.

La défaite de l’armée française avait circulé comme un coup de foudre dans la cité qui, après ce dernier bombardement, n’était plus qu’un amas de débris encore fumants. Toute la garnison et la population étaient accourues aux Portes pour entendre les nouvelles.

Lorsque Montcalm parut sous la porte Saint-Louis, des femmes tombèrent à genoux en gémissant.

On entendit cette rumeur plaintive :

— Dieu du ciel ! le général est blessé… il est blessé !

Des sanglots brisaient les gorges.

Les soldats se découvraient, et l’on voyait leurs yeux chagrins se mouiller de larmes.

Des enfants, étonnés et curieux, se pressaient près du cortège pour mieux voir le général, ce héros de leur jeune imagination et de leurs rêves.

La cloche des Ursulines s’éleva parmi toutes ces rumeurs confuses comme un glas funèbre.

Et le triste cortège poursuivait son chemin par les rues encombrées de poutres, de pierres, de ruines, vers le Château Saint-Louis.

Puis on voyait encore s’engouffrer par les portes Saint-Louis et Saint-Jean les restes de l’armée vaincue.

Des voix désespérées clamaient :

— La bataille est perdue !…

Le silence s’était fait de toutes parts, un silence qui, durant quelques minutes, parut sépulcral. Puis tout à coup, toute la cité fut violemment secouée par le bruit d’une violente mousqueterie qui venait d’éclater sur les Plaines d’Abraham. Et des cris de guerre montaient encore dans l’espace.

On pensa que la bataille reprenait… que Bougainville peut-être venait d’arriver du Cap-Rouge et qu’il prenait les Anglais en flanc !

Non, ce n’était pas Bougainville !

Alors que les Anglais se réjouissaient de la victoire, ou entouraient pieusement le corps rigide et inerte de leur jeune général, un homme grimpait à la course un rude sentier qui, du côté de la rivière Saint-Charles, zigzaguait vers les abords du chemin Sainte-Foye. L’homme était un colosse portant l’uniforme des grenadiers du roi de France. Sa main droite tenait une terrible rapière, et sous le bras gauche de l’homme se trouvait un paquet, et ce paquet était un enfant.

Il y avait là près du chemin Sainte-Foye un bataillon de Highlanders. Ils barrèrent la route au grenadier français.

Lui arriva, essoufflé, sur une éminence d’où un moment il domina de sa haute stature le champ de bataille. Il vit s’enfuir vers la ville les restes de l’armée française. Il fit entendre un juron terrible :

— Par les deux cornes de Lucifer !…

C’était Flambard !

Il serra l’enfant sous son bras et assujettit sa rapière dans sa main droite.

Un officier anglais lui cria :

— Rends-toi, l’ami !

Flambard jeta un ricanement sinistre. Puis, sans mot dire, il bondit comme un tigre, se rua contre le bataillon de Highlanders, et de sa rapière s’ouvrit un chemin affreux et sanglant. Cent coups de feu éclatèrent, cent claymores brillèrent… mais Flambard passa ! Il passa par-dessus des cadavres et des blessés, il passa sans que l’enfant sous son bras gauche n’eût reçu la moindre égratignure. Et les Anglais n’étaient pas revenus de leur stupeur ou de leur effroi, que le spadassin gagnait dans une course de géant la Porte Saint-Jean par où il disparaissait.

Comme on fermait les portes sur les derniers débris de l’armée, Bougainville apparaissait aux abords de l’Anse au Foulon. Apprenant la défaite de l’armée de Montcalm, et se sachant incapable de reprendre l’action contre les Anglais, il rebroussa chemin.

Vaudreuil, de son côté, avait dépêché des secours trop tard. Tout ce qu’il put faire, fut de masser des troupes près de la rivière Saint-Charles pour protéger son camp de Beauport. Mais les Anglais ne songeaient pas pour le moment à poursuivre leur succès : ils avaient des devoirs à rendre à leurs blessés et à leurs morts, et, tout particulièrement, à leur jeune et brillant général, James Wolfe, qui, tout près du champ de bataille et de victoire, avait rendu son âme avec un sourire aux lèvres.

Il était mort content, et il l’avait dit lui-même !

Il avait donc suffi de deux heures seulement pour décider du sort de la Nouvelle-France. Pauvre Nouvelle-France ! Douze cents de ses vaillants soldats et plusieurs de ses officiers étaient tombés pour elle, morts, blessés ou prisonniers !

Après ce premier désastre, la colonie n’allait éprouver que revers sur revers, découragements, désespoirs. Un homme, non moins vaillant que Montcalm, allait essayer de la sauver : le Chevalier de Lévis. Mais lui aussi, après une belle victoire, finirait par perdre tout espoir ; puis il allait briser son épée pour ne pas la rendre à l’ennemi.

C’était fini !


XXII

JOIES !


Le soir de ce jour, vers les sept heures, la chaumière du milicien Aubray était joyeuse. Flambard venait d’arriver avec Jean Vaucourt, et tandis que le capitaine embrassait longuement sa femme et son enfant, le spadassin mettait dans les bras de la femme d’Aubray un enfant que celui-ci reconnut avec une joie inouïe !

C’était son petit que Flambard avait découvert dans un sentier près de la rivière Saint-Charles.