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LE SIÈGE DE QUÉBEC

zergues et ses milices secondées par un peloton de sauvages ; la gauche fut donnée à M. de Fontbonne et à M. de Saint-Ours secondés par les miliciens de Jean Vaucourt. Ainsi éparpillée, sans corps de réserve, avec des distances trop grandes entre les différents corps, l’armée française était incapable de soutenir un choc et sa ligne trop mince pouvait être rompue à tout instant.

Il était dix heures environ quand Montcalm donna ordre à sa ligne d’avancer lentement vers les positions anglaises. Sénézergues et de Saint-Ours avaient ordre de commencer l’attaque sur les deux ailes de l’armée anglaise, afin de distraire l’attention du centre sur lequel Montcalm avec ses réguliers se jetteraient à l’improviste du haut des buttes. Mais Wolfe avait deviné les projets de Montcalm et il allait leur faire échec.

Ce fut Sénézergues qui, le premier, donna l’attaque. Tandis que ses miliciens avançaient le long du chemin Sainte-Foye, des tirailleurs canadiens dissimulés dans les broussailles et sur les éminences du voisinage faisaient pleuvoir une grêle de balles sur les Montagnards écossais que commandait Townshend à la gauche de Wolfe. Cette attaque fut trop précipitée, car elle donna l’éveil à Wolfe qui résolut d’attendre le centre de Montcalm. Il est fort probable, qu’ayant vu la ligne si mince de l’armée française, il avait été tenté de sortir de ses positions pour rompre cette ligne sur ses deux ailes, culbuter les réguliers de Montcalm, puis se rabattre sur la gauche et la droite et les disperser. Par une telle action, il aurait pu s’approcher des murs de la ville et la prendre d’emblée.

L’attaque de Sénézergues n’eut pas d’autre effet que de faire riposter les francs-tireurs de l’armée ennemie, qui se trouvaient postés derrière les tranchées et redoutes construites aux abords du chemin Sainte-Foye. Cet échange de mousqueterie, qu’on n’attendait pas si tôt, créa de l’inquiétude dans le centre qui précipita sa marche vers les buttes. Là seulement on pouvait apercevoir dans leur ensemble les carrés ennemis. À cette vue, les grenadiers, qui ne comprenaient qu’un faible détachement, firent feu sur les lignes rouges. Montcalm venait d’arrêter sa ligne, et cinquante verges au plus le séparaient du centre de l’armée ennemie. Mais le feu des grenadiers fut entendu de M. de Saint-Ours qui, croyant l’action tout à fait engagée et se pensant en retard, jeta ses milices sur l’aile de Monckton. Ce manque d’entente et de coopération entre les officiers français et leurs troupes leur fut funeste. Car Wolfe commandait à son centre le feu, et ce feu fut si terrible que l’armée de Montcalm fut ébranlée. Alors comprenant qu’une action brusque et rapide pouvait seule lui donner le premier avantage, le général français cria de sa voix impétueuse et retentissante :

— Foncez, soldats du roi !

La fumée de la première décharge s’évaporait déjà. Les Français s’élancèrent au pas de course, la baïonnette au canon de leurs fusils.

Leur élan fut brusquement arrêté par une seconde décharge des ennemis.

Les balles anglaises cette fois creusèrent de grands vides dans les rangs des Français. À son tour Montcalm commanda le feu. Cet ordre fut encore trop précipité, puisque la fumée de la deuxième mousqueterie anglaise n’était pas encore tout à fait dissipée, de sorte que les balles françaises firent peu de mal à l’ennemi. Et Montcalm n’avait pas reformé ses rangs, qu’un corps de fusiliers royaux, en réserve derrière Wolfe, faisait pleuvoir sur les Français une troisième grêle de balles meurtrières.

La confusion se mit dans les rangs de Montcalm, car on comprenait maintenant qu’il serait insensé d’essayer une action en bloc contre l’ennemi, sans troupes de réserve et d’appui qu’on était. À ce moment, les miliciens conduits pur Fontbonne et Saint-Ours étaient vivement attaqués à la baïonnette par les troupes de Monckton, et ils reculaient en deçà du chemin Saint-Louis et vers les remparts de la cité. Là, à la gauche de l’armée française, il y avait, outre le désavantage du nombre, celui de l’armement. Car les milices de Trois-Rivières n’étaient armées en partie que de fusils de chasse et sans baïonnettes. Donc avec un centre en confusion et une aile gauche en retraite, l’armée de Montcalm avait bien peu de chances d’une victoire, et une victoire d’autant plus douteuse que toute l’armée ennemie demeurait encore intacte presque et solide.

Seule, la droite de Sénézergues tenait bon. Mais elle avait cet avantage d’être secondée par les tireurs canadiens qui, très habiles, semaient la mort dans les rangs de Townshead. Mais cette droite ne pourrait résister longtemps, alors que le reste de la ligne française fléchissait, et alors que Townshead et Murray allaient lancer leurs régiments en masse contre les Français.

Montcalm, sans perdre la tête, fit retraiter sa ligne d’une centaine de verges et la reforma sur deux hommes de profondeur seulement. À ce moment ses regards ardents avaient vainement fouillé les abords de la cité pour en voir surgir les soldats de la garnison, et les pentes de la rivière Saint-Charles pour voir monter les milices restées à Beauport ! Mais rien ! La ville à cet instant était violemment bombardée par les batteries anglaises de Lévis, tandis que la flotte de Saunders canonnait Beauport. Non, rien ni d’un côté ni de l’autre n’apparaissait, aucun secours ne venait. Alors s’armant d’énergie, Montcalm jeta ses réguliers contre les réguliers de Murray qui venaient apparaître sur les buttes en poussant des cris terribles. Montcalm commanda le tir. Malgré cette décharge presque à bout portant, les Anglais n’arrêtèrent pas leur élan, et le choc qui se produisit fut terrible. Les réguliers de Montcalm furent culbutés, repoussés, emportés avec leur général. Wolfe venait d’être blessé de deux balles, l’une l’avait atteint d’abord au bras droit, l’autre peu après s’était logé dans l’aine gauche. Mais cela ne l’empêchait pas de parcourir les rangs de son armée et de la diriger. La bataille ne fut plus qu’une suite de petites escarmouches. Les Français se reformaient par pelotons çà et là, et revenaient à la charge pour se heurter toujours en vain contre une masse de soldats mieux équipés et toujours plus nombreux.