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LE SIÈGE DE QUÉBEC

de ce fait très amoindrie : de treize mille hommes qu’elle était à la bataille de Montmorency, elle se trouvait réduite, à la veille de la bataille des Plaines d’Abraham, à un peu plus de cinq mille hommes.

Les Anglais n’ignoraient pas ces choses, aussi pensèrent-ils que l’occasion était venue de tenter une action décisive.

James Wolfe, depuis qu’il était venu se poster devant Québec, se donnait un mal inouï pour trouver une solution à un problème qui lui avait paru si facile. Aussi avait-il été très désappointé après ses tentatives infructueuses. Et, en face d’une ville murée de falaises impossibles d’escalade, devant une armée plus nombreuse qu’il n’avait pensé et fortement retranchée dans des positions presque imprenables, il avait fini par désespérer de faire la conquête du Canada. À présent il voyait l’hiver s’approcher, bientôt il se verrait forcé de rebrousser chemin vers Louisbourg, et il s’en irait en Angleterre avec cette pensée terrible qu’en la mère-patrie tout son prestige serait évanoui.

La vision d’un échec aussi humiliant l’avait abattu ; il manqua d’en mourir.

Il avait aussi compté sur les succès du général Amherst sur la frontière anglo-américaine et sa marche rapide vers Montréal. Amherst avait eu, en effet, plusieurs succès, mais il s’était trouvé des hommes — tel Bourlamaque — pour contenir sa hâte de venir donner la main au jeune général James Wolfe. Cela avait été une autre et terrible déception.

Durant trois semaines, le jeune général n’avait pas quitté sa tente à ses quartiers généraux de l’Ange-Gardien, et, sombre comme un Achille antique, il était demeuré dans la solitude y ruminant mille projets plus ou moins praticables d’emporter et l’armée de Beauport et la capitale de la Nouvelle-France. Il avait lancé des émissaires et des rôdeurs de tous côtés, mais tous revenaient sans apporter la clef du problème qui tuait peu à peu leur jeune chef.

Dans les derniers jours du mois d’août, un jeune officier, commandant une compagnie de Montagnards écossais, pénétra sous la tente du jeune général.

— Pourquoi vient-on me troubler encore ? demanda rudement le malade.

— Monsieur, répondit l’officier, j’ai réussi à localiser sur la rive nord du fleuve un endroit où notre armée pourrait facilement mettre pied à terre.

— Ah ! en vérité ? fit le général en dressant la tête avec intérêt.

— On appelle l’endroit « L’Anse au Foulon ».

— Qu’avez-vous vu ? interrogea avidement Wolfe.

— Connaissant bien la langue française, je me suis déguisé en paysan canadien et j’ai pu approcher le poste qui garde les hauteurs du Foulon. Ce sont pour la plupart des miliciens et des matelots que commande un certain colonel Vergor. Il semble y avoir peu de discipline, et l’on m’a paru y bien manger et bien boire.

Wolfe écrivait rapidement à mesure que parlait l’officier.

— Et comment arrive-t-on à ces hauteurs du Foulon ? demanda-t-il plus intéressé que jamais.

— Par un petit sentier qui oblique dans la pente abrupte, deux hommes peuvent y monter de front. On pourrait aussi hisser par là quelques canons de campagne. Les hauteurs sont un vaste plateau à peine accidenté, couvert de bosquets à travers lesquels une armée peut facilement gagner les murs de la cité.

Wolfe écrivait et notait plus fiévreusement. Son visage amaigri et blafard se colorait de moment en moment, ses yeux brillaient ardemment, ses lèvres décolorées frémissaient, ses mains pâles tremblaient.

— Et au bas de ces hauteurs du Foulon, il y a des sentinelles ? interrogea-t-il plus avidement.

— Un poste de dix hommes seulement.

— Mais qui peuvent donner l’éveil aux gardiens de là-haut ?

— Oui, mais en profitant d’une de ces nuits au cours de laquelle on attendra un convoi de vivres venant de Trois-Rivières et destinées à l’armée française et à la ville, nous pourrions tromper la vigilance des sentinelles, et, glissant nos berges silencieuses vers l’anse, nous prendrions aisément pied à terre. Trois cents de nos hommes auraient tôt fait de se rendre maîtres du poste qui garde les hauteurs.

Et cet officier écossais, qui n’était autre que Simon Fraser, donna encore quantité de détails dont Wolfe prit minutieusement note.

Puis il félicita l’officier, lui promit de ne pas oublier les grands services qu’il venait de rendre à la Couronne d’Angleterre, et le congédia.

Le jeune général se leva, il paraissait avoir retrouvé toute sa vigueur, son teint se colorait vivement, et sur ses lèvres s’imprimait un large sourire. Il fit mander immédiatement ses principaux officiers pour tenir conseil, et, le jour même, il était décidé de tenter l’entreprise.

Le 6 septembre, le vice-amiral Holmes passa sous Québec avec trente navires ; Le général Wolfe était sur ces navires avec cinq mille hommes de troupes de terre. Une dizaine de navires jetèrent l’ancre près de la côte sud, presque vis-à-vis de l’Anse au Foulon. Les autres navires allèrent stationner à proximité du Cap Rouge. Holmes, qui commandait ces navires, avait reçu instructions de retenir l’attention de Bougainville. Cependant que Wolfe, demeuré vers l’Anse au Foulon, débarquait des troupes sur la côte sud, comme pour donner le change aux Français, et de son poste il étudiait les abords de l’Anse au Foulon et les hauteurs qui la dominaient. Il conclut qu’il était assez facile d’aborder ces hauteurs et que l’immense plateau, dit « Les Plaines d’Abraham », couvert de bouquets de bois et semé de buttes çà et là offrait à une armée bien conduite tous les avantages de s’y déployer et d’y prendre des positions solides. Des plans furent immédiatement dressés, et Wolfe, satisfait, attendit l’opportunité pour se lancer dans l’aventure.

C’était, en effet, une aventure dangereuse que l’audace seule pouvait tenter ; et si l’armée française avait été conduite comme allait l’être