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LE SIÈGE DE QUÉBEC

les Cadets par surprise : il en occirait bien encore une demi-douzaine de ces jeunes loups !

Comme il allait marcher vers la trappe il crut saisir un drôle de sifflement venant de sous ses pieds. Puis il huma l’air de son aquilin, fit la grimace, et murmura :

— Ça sent la fumée !

Il courut ouvrir la trappe.

Une lueur aveuglante lui brûla les yeux. Il lâcha le panneau.

— On veut me griller comme porc de Pâques ! murmura-t-il sans perdre son sourire narquois, sans marquer le moindre émoi.

Oui, mais la fumée épaississait

Flambard éternua. Il méditait.

Dehors, des cris de joie et des rires sardoniques avaient succédé aux clameurs d’épouvante.

Dans la baraque le plancher craqua et ploya sous les pieds de notre héros.

— Ah ! diable, vais-je retomber en enfer ?

Il s’écarta prudemment du centre. Il fit bien : à l’instant une poutre au-dessous, rongée par les flammes, cédait, le plancher s’engouffrait en partie et un jet de flammes hurlantes surgit enveloppant presque à la grandeur la salle de la caserne.

Un immense éclat de rire retentit au dehors.

— Me voici encore comme chez Bigot ! se dit Flambard. Des épées en arrière, à côté, en avant… et dessous une fournaise ! Décidément, Monsieur Bigot a l’honneur de se voir singé ! Oui, mais de cette fournaise je n’en veux pas ! Donc, l’heure est venue de sortir. Mais par où ?

Flambard regarda encore la porte. Il n’en était pas loin.

Aussi derrière cette porte put-il entendre la voix narquoise de certains Cadets. L’un disait :

— Pouf ! ami Flambard… te voilà maintenant qui grille comme goret !

— Pouf !… faisait un autre. Si les coffres de poudre n’ont pas d’effet sur ta vilaine peau de sanglier, au moins ces flammes la feront craquer… pouf !…

— Pouf !… éclatait encore un autre. Tu as échappé au brasier de Monsieur l’Intendant, parce que l’imbécile de Verdelet s’était laissé attraper. Mais, là, il n’y a pas de Verdelet, il n’y a ni dieu ni diable pour te sortir de cette rôtisserie… pouf !

— Pouf ! Pouf !

Les rires pétaradaient.

Les flammes hurlaient aux oreilles de Flambard, elles commençaient à le brûler. Il jeta un regard vers un fourneau à sa droite. Il fit un bond, et de ses bras puissants, il le souleva, l’éleva au-dessus de sa tête.

Dans un dernier rire énorme, les gardes et cadets hurlaient :

— Pouf, Flambard ! Pouf ! pouf !…

— Et pouf ! rugit la voix de tonnerre du spadassin.

Les gardes et cadets eurent à peine le temps de saisir le bruit de cette voix, que la porte volait tout à coup en éclats. Une dizaine de cadets furent atteints et blessés par des éclats de bois, puis dans le trou béant de la porte violemment éclairée par les flammes rugissantes, apparut la haute et formidable silhouette du spadassin. Il était là l’épée à la main et ricanant toujours.

Mais déjà gardes et cadets s’étaient jetés à la hâte dans les ténèbres de la nuit.

— Pouf ! pouf !… hurla Flambard.

Il se mit à rire longuement.

— Les chats-huants qui s’épouffent… une vraie billebaude !

Il riait à se tordre…

XV

COUP-D’ŒIL SUR LES DEUX CAMPS


Durant les jours qui suivirent cette aventure de notre héros, celui-ci s’était lancé à la recherche de l’enfant d’Aubray, car Pertuluis et Regaudin ne l’avaient pas ramené à sa mère, comme nos amis l’avaient espéré. Quant aux deux grenadiers, pas plus que l’enfant, ils n’avaient été retrouvables.

Or, Flambard ignorait que, le lendemain de la bataille de Montmorency, le détachement de grenadiers auquel étaient attachés Pertuluis et Regaudin, avait été envoyé à l’armée de Bougainville au Cap Rouge. Car, le lendemain en effet, Montcalm avait surpris le mouvement d’un certain nombre de berges anglaises qui, après avoir évolué dans la rade, longèrent le rivage de Lévis et passèrent devant la ville. C’était Murray, avec douze cents hommes environ, que Wolfe envoyait en reconnaissance vers Trois-Rivières et Montréal.

Murray avait ordre de passer à travers la petite flotte française mouillée aux Trois-Rivières, et de chercher à faire liaison avec les troupes du général Amherst qu’on croyait plus rapproché de Montréal qu’il n’était en réalité.

Ce mouvement éveilla la défiance du marquis de Montcalm. Il envoya immédiatement des instructions à Bougainville et lui dépêcha quelques renforts. Lui-même partit peu après avec un corps de troupes pour se rendre à la rivière Jacques-Cartier, dans la crainte que les Anglais ne tentassent une descente sur quelque point de la rive gauche du fleuve. Murray n’avait pas osé s’aventurer jusqu’aux Trois-Rivières, en constatant que les Français se tenaient sur leurs gardes. Toutefois, il essaya de prendre pied à la Pointe-aux-Trembles, mais sans y réussir : Bougainville l’en prévint.

Tout de même, cette alerte tenait les officiers français sur les dents. Ils se demandaient ce que pouvaient bien méditer les Anglais.

Ceux-ci, de fait, méditaient bien des choses comme nous le verrons bientôt.

On arrivait à une saison de l’année où les officiers de la petite armée française allaient encore, comme toujours dans l’histoire militaire de la colonie du reste, se trouver en face d’une nécessité qui ne laissait pas que d’affecter gravement leurs projets et leurs plans de défense. En effet, la moisson allait bientôt réclamer les paysans enrégimentés dans les milices. Et en cette année de 1759 la récolte était d’autant plus précieuse que quantité de champs avaient été dévastés par les Anglais