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LE SIÈGE DE QUÉBEC

Et pour éluder le mieux possible la question d’Héloïse — car il ne voulait pas lui annoncer la mort de son père si tôt, mais seulement lorsqu’il serait sûr que la jeune femme en pourrait supporter la nouvelle — il narra le malheur qui venait de frapper Aubray et sa femme.

Cette nouvelle fit une douloureuse impression sur le groupe de nos amis.

— Et c’est Aubray lui-même qui vous a amené ici ? interrogea Jean Vaucourt.

— Lui-même. Il m’attend dans son cabriolet.

— Eh bien ! Flambard mon ami, allez le chercher, je désire lui parler.

L’instant d’après, le milicien entrait, dans le parloir. Héloïse s’empressait de lui offrir ses consolations et de le rassurer sur le sort de son enfant.

— Oui, mon ami, vous pouvez être tranquille, ajouta Jean Vaucourt. Dès qu’on s’apercevra de la méprise, votre enfant vous sera rapporté. Et je ne serais pas surpris qu’il ne fût à cette minute même dans les bras de sa mère. Maintenant, mon ami, continua le capitaine, je veux vous demander un service important.

— Parlez, capitaine, je ferai tout ce que vous me demanderez.

— Merci. Vous savez peut-être que ma maison a été à demi démolie par les boulets ennemis, et que je suis, pour ainsi dire, sans domicile. Eh bien ! voulez-vous donner dans votre maison l’hospitalité à ma femme, à mon enfant et au bon père Croquelin ? Ici, dans cette sainte maison, il importe de laisser toute la place aux malades et aux blessés de la guerre.

— Mais certainement, mon capitaine, s’écria le milicien, notre maison, bien que petite et pauvre, est à vous. Et si vous le désirez, j’emmènerai de suite votre femme, son petit et le père Croquelin.

— Merci, j’allais vous en prier, mon ami, fit le capitaine très reconnaissant et content de savoir que sa femme et son enfant auraient un asile presque sûr.

Ceci convenu, on allait se séparer, quand Héloïse voulut insister auprès du spadassin pour obtenir des nouvelles de son père.

— Madame, répondit Flambard, il est bien tard, ce me semble, pour vous donner d’aussi longs détails, et j’ai encore fort à faire cette nuit ; mais si vous le permettez, j’irai demain vous rendre visite et vous donnerai toutes les nouvelles que vous attendez avec tant de hâte.

— Vous me le promettez ? dit Héloïse.

— Je vous le promets, madame. Du reste, j’aurai des choses très importantes à vous communiquer.

Et Flambard s’inclina pour aller à d’autres affaires qu’il semblait impatient de régler.

— Ah ! fit-il tout à coup en regardant le capitaine, je n’ai pas ma rapière !

Vaucourt comprit.

— Voici la mienne, dit-il.

— Merci, répliqua le spadassin, je vous la rendrai demain.

Le capitaine accompagna le grenadier jusqu’à la porte. Et comprenant qu’il avait quelque revanche à prendre :

— Soyez prudent, murmura-t-il.

— Soyez tranquille, capitaine, répliqua Flambard. Je sais que mon heure dernière n’est pas encore venue, et il y a des chenapans que l’enfer attend !

Et, laissant entendre un sourd ricanement, il se jeta dans la nuit et disparut.


XIV

QUARANTE CONTRE… UN !


Flambard suivait des ruelles obscures, grommelant :

— Par l’enfer ! il ne sera pas dit qu’on se sera moqué de moi impunément ! Il y a par là un bouge, un antre de jeunes démons fort incommodants que je vais vider de la belle manière. Ah ! messieurs les cadets de Bigot, gare ! Cette fois, c’est moi qui vais faire Pouf !…

Notre héros ne pouvait pardonner aux cadets de Bigot de s’être moqués de lui, alors qu’il était réduit à l’impuissance et ne pouvait leur faire rentrer dans le bec leurs fanfaronnades. Il marchait donc rapidement malgré les ténèbres, traversait des ruelles pleines de débris et de décombres quelconques, butait parfois, maugréait, mais sans cesser de méditer certains projets de revanche contre un certain Pertuluis et un certain Regaudin.

Il s’arrêta tout à coup devant une baraque de l’intérieur de laquelle partaient de grands bruits de réjouissance.

— Ah ! ah ! fit-il avec satisfaction, me voici arrivé !

C’était bien la caserne des cadets. Non loin se dressaient les remparts sombres de la cité haute, et Flambard crut remarquer que ces remparts avaient çà et là certaines brèches nouvelles dues, nul doute, à l’explosion du souterrain. Flambard pensa donc que la baraque des Cadets avait dû être fortement secouée.

Mais notre ami s’était arrêté au bas du tertre sur lequel s’élevait la maison. Ce tertre, du côté du faubourg, était coupé perpendiculairement, et dans ce mur de terre et de pierre Flambard découvrit une grande porte hermétiquement close. Et cette porte, ce tertre, et cette baraque juchée dessus, tout cela ressemblait un peu à un monument funéraire. Mais notre héros avait vu une porte pareille dans la cave de la baraque, une porte qui ouvrait sur les souterrains et que lui avait fait franchir Verdelet.

— Bon murmura-t-il, c’est la porte extérieure par laquelle on entre et l’on sort en poussant des chariots chargés de coffres remplis d’or… les coffres de Monsieur Bigot !

Il sourit, puis monta la pente du tertre pour s’arrêter peu après devant la porte de la caserne. Au dedans retentissaient des bruits formidables de verres choqués et entre-choqués, de conversations bruyantes, de jurons d’éclats de rire.

Flambard sourit encore.

— Bon ! se dit-il, après qu’on a mis en sûreté les coffres de Monsieur Bigot, on fait la noce ! Là ! ce n’est pas la victoire de nos armes qu’on célèbre, mais la générosité de Monsieur l’Intendant qui a dû faire un fort beau cadeau à ces jeunes loups. Car ce sont des loups, puisqu’on entend fort bien leurs hurlements ! Il