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LE SIÈGE DE QUÉBEC

ce soir, après la bataille, en venant voir ma femme, je trouve dans notre berceau un enfant inconnu. On s’explique, et alors on s’imagine que cet enfant doit être le petit du capitaine. On part et on va lui porter à Beauport. Il reconnaît son petit. On repart avec le capitaine et l’enfant pour l’hôpital. Là, Madame Vaucourt est toute pâmée aussi, et elle était malade, elle s’est trouvée guérie.

Flambard fit un saut joyeux en l’air.

— Bravo, mon ami ! Ah ! vous êtes un brave homme, tout de même. Et votre femme… j’ai bien envie de l’embras…

Flambard s’interrompit net et ravala rudement sa salive en apercevant la figure décomposée et en larmes de la jeune femme. Peu à peu elle était venue se placer dans le rayon de lumière décrit par la bougie, pour mieux entendre ce qu’on disait. Elle était là, haletante, et la physionomie si douloureuse que Flambard en demeura décontenancé.

Flambard se tourna vers le milicien dont le visage n’était pas moins douloureux, et reprit :

— Dites donc, mon ami, vous excuserez bien ma joie en apprenant ce miracle du bon Dieu que vous m’avez narré. Mais là… je regarde votre figure triste, je vois des larmes couler sur les joues de votre femme… est-ce que c’est à cause du petit Adélard que vous paraissez souffrir ainsi ?

Le milicien hocha la tête en guise de négation.

— Non… on était bien contents d’avoir fait une bonne action. Mais, voyez-vous, c’est nous autres que le malheur vient d’atteindre tout d’un coup, comme ça.

— Quel malheur ? demanda le spadassin avec compassion.

— Notre petit enfant… monsieur, des malandrins sont venus le chercher pendant qu’on allait chez le capitaine lui remettre le sien.

— Oh ! oh ! dites-moi donc toute cette histoire.

La femme du paysan s’était remise à pleurer.

Et le paysan fit à Flambard le court récit fait par le vieux, son père.

— Oh ! oh ! s’écria Flambard en croisant les bras, vous avez dit « deux grenadiers » ? Eh bien ! je les connais, les gaillards… Pertuluis et Regaudin ! Ah ! les mécréants… les aurai-je donc toujours en travers de ma route !

Il ébaucha un geste de fureur et porta la main à sa rapière… elle n’était pas là : il l’avait perdue au cours de l’aventure qu’il venait de traverser, ou plutôt il se rappela que les cadets de Bigot la lui avaient enlevée, à moins que ce ne fût ce balafré de Pertuluis, ou ce croquant de Regaudin, ou encore ce traître de Verdelet. Qu’importe !

— Mon ami, continua le spadassin, je vois bien que si Pertuluis et Regaudin sont venus chercher l’enfant, c’est pour le motif d’en tirer rançon du capitaine. En ce cas, il faut rattraper les deux truands et vous faire rendre votre enfant ; en même temps j’aurai à raconter à ces deux gredins une histoire fort curieuse… une histoire de volcan.

— Il se peut, émit le milicien, que ces deux grenadiers se soient rendus au camp, dans l’espoir d’y trouver le capitaine Vaucourt.

— Et fort probablement avec la certitude de l’y trouver, puisqu’ils ignorent ou doivent ignorer que le capitaine a retrouvé son enfant.

Nous aurons donc la chance de les pincer de ce côté.

— Partons donc, dit Aubray, le cabriolet est à la porte.

La jeune femme, ranimée par l’espoir, se rapprocha du spadassin et lui demanda, craintive :

— Pensez-vous, monsieur, que je retrouverai mon p’tit Louis ?

— Comment ! si vous le retrouverez… Mais je le retrouverai, moi, assura Flambard avec une certitude qui rendit à la jeune femme l’espoir entier, et je vous le rapporterai, je vous le jure !

Il fit un grand geste, geste qui sembla vouloir embrasser l’univers, et il sortit sur les pas du milicien.

Le cabriolet avait pris la direction du camp de Beauport. Le milicien et le grenadier espéraient se trouver sur le chemin de Pertuluis et Regaudin. Ils furent déçus. Une fois arrivés à la tente de Vaucourt, un lieutenant leur apprit que le capitaine n’était pas revenu de la ville. Il assura aussi à nos deux amis que Pertuluis et Regaudin n’avaient pas été vus.

— Bon ! pensa Flambard, ces gueux devaient savoir que le capitaine se trouvait à l’Hôpital-Général ou tout au moins quelque part dans la cité. À l’Hôpital ! commanda-t-il à Aubray.

Le cabriolet repartit.

Il passait minuit, lorsque Flambard se présenta au parloir de l’hôpital. Il fut tout joyeux d’y trouver Jean Vaucourt, Héloïse, Marguerite de Loisel et le père Croquelin, que Vaucourt avait fait mander. Mais sur ces personnages l’apparition de Flambard créa une forte sensation : ils croyaient voir surgir un fantôme ! Néanmoins, le spadassin fut reçu avec grande joie.

Lui, apprenant qu’Héloïse était tout à fait guérie, tressaillit d’une joie sans pareille. Il enleva à la jeune femme le petit Adélard, l’embrassa, le dorlota et le fit danser au bout de ses bras.

Mais les autres voulaient connaître l’aventure de notre ami. Ses vêtements en lambeaux, la terre dont ils étaient recouverts, le sang dont ils étaient imbibés presque, excitaient énormément leur curiosité.

Flambard en fit immédiatement le récit.

Dès qu’il eut terminé, et tout comme si notre ami n’eût fait que d’arriver des Indes, Héloïse lui demanda avec une grande anxiété :

— Et mon père, monsieur Flambard ?… vous ne me parlez pas de mon père ?

Flambard faillit perdre l’haleine.

— Ah ! c’est vrai, madame, votre père…

Il échangea un rapide coup d’œil d’intelligence avec le capitaine et poursuivit :

— Je n’ai jamais oublié le vous en informer… Ah ! mais, si vous saviez, toute cette besogne que j’ai eue sur les bras… Et en ce moment encore, j’ai devant moi…