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LE SIÈGE DE QUÉBEC

— Deux grenadiers… ceux qui étaient venus avec le petit Adélard. Tout ce que j’ai compris, ils sont revenus le chercher pour aller le porter à son père le capitaine Vaucourt.

— Mais le capitaine Vaucourt… il l’a son enfant !

— Pauvre enfant, j’sais pas…

Et le vieux se laissa tomber sur un siège, mit encore les coudes sur les genoux et prit sa tête dans ses mains.

C’était décourageant. Le milicien connaissait son père et comprenait que celui-ci avait dit tout ce qu’il savait.

Il se tourna vers le lit où il avait déposé sa femme.

Il la vit assise sur son séant et le regardant avec des yeux égarés par la folie.

Il se dirigea vers elle.

— Ma pauvre Amandine, dit-il la voix brisée par la douleur, te rappelles-tu ? c’est ces deux grenadiers qui ont emmené notre enfant.

La jeune femme sursauta sur son lit et poussa un grand cri.

— Les deux grenadiers… murmura-t-elle ensuite.

Elle entoura de ses deux bras le cou de son mari et se mit à pleurer lourdement.

Aubray reprit :

— Ils sont venus chercher le petit Adélard pour aller le remettre à ses parents.

— Ils sont venus…

Et par méprise ils ont pris notre enfant.

— Notre enfant…

— Notre p’tit Louis. C’est tout ce que je comprends, ajouta le milicien, le père n’en dit pas plus long. Seulement, je commence à me dire qu’il ne doit pas y avoir de danger pour notre enfant, attendu que ces deux grenadiers sont allés le porter au capitaine Vaucourt. Tu comprends bien que le capitaine va de suite comprendre la méprise et qu’il va nous faire ramener notre enfant. Faut donc te consoler, Amandine. D’ailleurs, je vais repartir tout de suite pour aller retrouver le capitaine, et là je saurai bien toute l’histoire.

Ceci parut consoler la jeune femme. Elle soupira et dit :

— Je souhaite bien qu’on ne fera pas de mal à mon petit. Je te conseille bien aussi d’aller de suite chez le capitaine.

— Il y a ça, répliqua le milicien en se grattant la tête avec un air de doute, j’sais pas au juste si le capitaine est retourné au camp, ou bien s’il est resté à l’Hôpital.

À l’instant même un poing dur heurta la porte de la chaumière.

Les deux époux tressaillirent. Avec un soupir de joie la jeune femme murmura :

— Si c’étaient les deux grenadiers qui ramènent le p’tit.

Non moins rempli d’espoir que sa femme, Aubray marcha vers la porte qu’il ouvrit presque craintivement.

Il aperçut une haute silhouette humaine.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

— Un ami du capitaine Vaucourt… Flambard ! Flambard…

Ce nom résonna joyeusement aux oreilles du milicien qui s’effaça vivement, disant :

— Entrez, monsieur Flambard.

Mais à la vue de l’individu qui profila sa haute silhouette à la lumière douteuse d’une bougie qui éclairait imparfaitement la cuisine, Aubray fit un bond de côté et son visage exprima la plus grande stupeur.

La jeune femme, qui était accourue de sa chambre au nom de Flambard, recula aussitôt avec un geste d’effroi, car l’homme qui apparaissait était effrayant à voir. Déchiré, sale, ensanglanté, tête nue et les cheveux en désordre, la figure livide, les yeux brillants comme des flammes, et un sourire qui semblait un rictus de démon tiraillé par mille tortures, Flambard offrait l’image d’un spectre horrible.

Il regarda le milicien.

— Ah ! ah ! dit-il en riant sinistrement, à vous voir, mon ami, je devine bien que j’ai quelque peu l’air d’un revenant ! Par ma foi ! rassurez-vous, je descends peut-être du Paradis ! Je dis peut-être, parce que j’ai comme une souvenance que j’y suis allé faire un court voyage ! Ça vous étonne ? J’crois bien. Tenez ! j’étais sur un volcan, c’est bien simple, hein ? Et tout à coup… pouf ! j’ai sauté… Ah ! quel saut, mon ami, je n’en ai vu que vide et vent ! Je n’ai jamais sauté dans ma vie comme ça… comme ce saut que j’ai sauté ! Non… je n’en reviens pas !

Il se mit à rire à grands éclats qui, dans la chaumière basse, ressemblèrent à des coups de tonnerre.

Aubray demeurait béant.

La jeune femme tremblait dans l’ombre de sa chambre.

Le vieux, assis sur un escabeau, paraissait comme statufié.

— Je dis que je n’en reviens pas ? reprit Flambard. Je perds la tête, pardon ! Peut-être ai-je laissé ma cervelle dans les airs, et un jour elle retombera comme un méchant caillou. N’importe ! je vais confesser que j’en reviens… Mais quel saut tout de même !… Je me rappelle bien à présent pourquoi ces coquins de cadets pouffaient tant ! Je les revois, alors que j’étais ficelé comme un vieux colis de rien, passant devant moi, défilant, grimaçant, et faisant : Pouf ! Pouf !… Ah ! oui… Mais, mon ami, soyez tranquille, c’est moi qui vous le dis, je leur réserve un pouf ! moi aussi, mais un pouf ! de ma façon. Et ce ne sera pas long, dès que j’aurai remis au capitaine Vaucourt son enfant.

Aubray faillit tomber à la renverse.

— Ah ! bredouilla-t-il, vous êtes venu chercher l’enfant du capitaine ?

— Ah ! ah ! ce gueux de Verdelet ne m’a pas menti, l’enfant est ici ?

Flambard semblait ravi.

— L’enfant n’y est plus, monsieur, avoua Aubray avec un hoquet.

Flambard eut aussi un hoquet…

— Ah ! ah ! fit-il seulement.

— Ma femme et moi, monsieur, on l’a porté au capitaine. Voyez-vous, ajouta-t-il, c’est deux grenadiers qui avaient apporté le marmot du capitaine à ma femme. J’étais au camp. Il y a un mois de ça. Alors on avait appris dans le camp que le capitaine avait perdu son enfant, que des maraudeurs l’avaient enlevé. Or,