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LE SIÈGE DE QUÉBEC

— Ô mon Dieu ! s’écria le milicien avec un émoi joyeux, si cet enfant était celui du capitaine Jean Vaucourt !

— Hein ! de ton capitaine ?

— Oui. Son enfant lui a été enlevé l’an passé et il n’en a jamais entendu parler depuis.

— Et comment s’appelait-il l’enfant de ton capitaine ?

— Comme celui-ci… Adélard.

La jeune femme demeurait tout abasourdie.

Le milicien reprit :

— Ma chère Amandine, je pense qu’on devrait de suite aller montrer cet enfant au capitaine Vaucourt.

— Mais tu ne t’es pas encore reposé, mon ami ?

— Ça ne fait rien, je me reposerai après. Mon capitaine a trop souffert. Oh ! il ne le fait pas voir, mais, après qu’on a su son histoire, on devine bien qu’il n’a pas l’esprit et le cœur tranquilles. Donc, Amandine, ça serait seulement une bonne action comme on voudrait qu’on nous en rende, s’il nous arrivait le même malheur.

— Tu parles avec raison, Anatole, et je consens qu’on aille montrer l’enfant à ton capitaine !

— C’est bon, je vais embrasser notre petit, puis j’irai atteler notre cheval au cabriolet. Pendant ce temps-là tu feras tes préparatifs.

Sur le lit, placé dans l’angle de la pièce, un enfant à peu près de l’âge d’Adélard sommeillait doucement. Le milicien le contempla longuement avec amour, il l’embrassa doucement, puis il courut à l’étable.

Il était plus de huit heures lorsque le cabriolet d’Aubray s’arrêta devant la tente du capitaine Vaucourt, non loin du village de Beauport. Le capitaine était seul sous sa tente et rédigeait un mémoire quelconque. En apprenant qu’Aubray et sa femme lui apportaient un enfant inconnu, il se précipita dehors comme un fou, et tandis qu’une sentinelle éclairait la scène d’une lanterne, Jean Vaucourt saisissait l’enfant, le reconnaissait, le serrait sur lui et rentrait précipitamment sous sa tente, répétant :

— Mon petit Adélard ! Mon petit…

L’enfant, tout étonné, souriait et murmurait « papa ».

Le capitaine l’avait peu après déposé sur un lit de camp, et, à genoux près du lit, il considérait son enfant avec amour, l’embrassait et pleurait doucement. Il ne pouvait parler, tant la joie lui serrait la gorge.

Aubray et sa femme, entrés sous la tente, demeuraient immobiles à quelques pas de là et silencieux ; la jeune femme essuyait furtivement ses yeux qui se mouillaient malgré elle.

Le capitaine parvint enfin à dompter son émotion. Il se leva, remercia les deux braves paysans et se fit raconter l’aventure.

— Ah ! ah ! fit-il peu après en fronçant terriblement les sourcils, c’étaient deux grenadiers ces gens qui vous ont apporté l’enfant ? Eh bien ! je les connais.

Et dans les prunelles sombres du capitaine, Aubray et sa femme virent des flammes effrayantes.

Jean Vaucourt reprit en s’adressant au milicien :

— Mon ami, puisque vous retournez chez vous de suite, voulez-vous me prendre avec vous et aller me déposer à l’Hôpital-Général ? Ce sera un service de plus que je ne manquerai pas de reconnaître, le moment venu.

— Avec plaisir, mon capitaine, ça nous fera rien qu’un petit crochet. Voyez-vous, puisque vous êtes content comme ça, on est content nous autres aussi, pas vrai, Amandine ?

Cette fois, la jeune femme, âme tendre et bonne, pleurait pour de bon : c’était la séparation qu’elle entrevoyait, car elle s’était attachée au petit Adélard presque autant qu’à son propre enfant, et à cette séparation elle n’avait pas songé avant. Mais à présent qu’elle voyait un père heureux serrer jalousement sur sa poitrine le fruit de sa chair, en pensant que bientôt ce serait au tour de la mère, de la vraie mère, elle se sentait comme dépossédée tout à coup d’un objet cher à son cœur de femme et elle en souffrait. Mais pourtant cette souffrance lui paraissait encore une joie, lorsqu’elle assistait au bonheur délirant presque du capitaine Vaucourt.

Et ce bonheur, dont exultait le jeune capitaine, n’était pas encore complété…

Le cabriolet reprit quelques instants plus tard le chemin de la ville, il portait deux voyageurs de plus : Jean Vaucourt et son enfant. On atteignit en peu de temps l’Hôpital-Général où tout le personnel demeurait debout et très affairé autour des blessés qui y avaient été transportés après la bataille.

Jean Vaucourt fit tout d’abord appeler Marguerite de Loisel à qui il voulait confier la bonne nouvelle, pour qu’elle pût à son tour préparer Héloïse de Maubertin à cette joie inattendue. La femme du capitaine, comme toujours, demeurait seule en sa chambre, rêveuse et mélancolique. Mais comme si un étrange pressentiment eût envahi sa pensée, à la vue de Marguerite dont la physionomie reflétait une joie inaccoutumée, Héloïse se leva vivement, son teint s’anima, ses yeux brillèrent d’éclats nouveaux et, s’élançant à la rencontre de la garde-malade, elle demanda :

— Ah ! Marguerite, m’apportez-vous enfin des nouvelles de mon petit ?

Marguerite, surprise, et ne pouvant expliquer l’attitude étrange de la jeune femme, qui, tout à coup, paraissait avoir recouvré presque en entier le mécanisme sain et ordonné de ses facultés mentales, Marguerite ne sut répondre autre chose que ceci :

— Héloïse, votre enfant est ici !

— Ici…

Ce fut un cri de joie irrésistible qui s’échappa des lèvres de la jeune femme. Et comme attirée par un aimant puissant, elle courut à la porte demeurée ouverte, s’engagea dans un long couloir, prit un escalier qu’elle descendit pour ainsi dire quatre à quatre, et, la minute d’après, elle faisait irruption dans le parloir et se jetait au cou de son mari.

La scène qui suivit est indescriptible.

Marguerite s’était élancée à la poursuite de la jeune femme, avec l’espoir de la retenir et de la préparer au bonheur qui l’attendait en