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LE SIÈGE DE QUÉBEC

Flambard qu’il ne pourrait aller plus loin sans se reposer un bon moment. Muni des indications du garde, Flambard avait donc poursuivi seul sa marche dans le souterrain, et l’on sait comment il en était sorti.

Or, après que Flambard eut disparu et que ses pas ne furent plus entendus, Verdelet s’était vivement dressé debout. Il avait rebroussé chemin, franchi de nouveau le torrent et couru jusqu’à cet endroit de la galerie souterraine où Flambard avait cru toucher une surface lisse qui lui avait paru une porte de fer. C’était bien une porte, en effet, à laquelle Verdelet frappa rudement du pied.

— Qui est là ? demanda de l’intérieur d’une pièce quelconque une voix marquée de surprise.

— C’est moi, monsieur Deschenaux… c’est Verdelet !

— Verdelet ! exclama la voix, tout empreinte de stupeur, du secrétaire de l’intendant Bigot.

La porte fut ouverte et Verdelet pénétra dans une chambre souterraine étroite et basse où, à la lueur d’un flambeau, il reconnut les physionomies sombres de Bigot et Deschenaux, tous deux enveloppés de manteaux et armés jusqu’aux dents.

Et ces deux personnages, en apercevant Verdelet brûlé, mouillé, effaré, reculèrent, saisis d’un mystérieux effroi, comme s’ils avaient vu surgir devant eux le spectre d’un trépassé.

— Ah ! diable ! fit Deschenaux la voix tremblante, reviens-tu de l’autre monde, Verdelet ?

En peu de mots le garde fit le récit de son aventure en compagnie de Flambard.

— Oh ! cria Bigot avec rage, le ciel protégera-t-il sans cesse ce Flambard maudit ? Par Notre-Dame !…

— Si ce n’est pas le ciel, répliqua Verdelet, c’est assurément l’enfer. Quoi qu’il en soit, si cette fois nous agissons vite, il n’échappera pas.

— Où est-il ? interrogea Deschenaux avec un grincement de dents.

— À présent il doit être dans la fosse du souterrain.

— Dans la fosse ? dit Bigot. Mais l’écluse est fermée !

— C’est vrai, admit Deschenaux.

— Nous aurons peut-être le temps d’aller l’ouvrir, émit le garde.

— En effet, reprit Deschenaux. Eh bien ! cours à la caserne des cadets et envoie l’un d’eux à la rivière… qu’il ne perde pas une minute !

— J’irai moi-même ouvrir l’écluse, dit Verdelet, ce sera plus sûr !

— Bien, fit Bigot avec un sourire sombre.

Deschenaux marcha immédiatement à une autre porte de fer et l’ouvrit. Cette porte donnait dans une autre galerie souterraine, mais une galerie si haute et si large qu’elle pouvait permettre le passage d’un chariot. Verdelet s’élança dans cette galerie. Nous savons donc qu’il avait réussi à ouvrir l’écluse avant que Flambard n’eût atteint l’issue du souterrain.

Avant d’aller retrouver notre héros, prisonnier des gardes et cadets de Bigot, nous assisterons au colloque qu’eut ce dernier avec son factotum, après le départ de Verdelet pour la rivière Saint-Charles.

Disons d’abord que la chambre souterraine en laquelle se trouvaient les deux hommes était toute de fer ; ou plutôt c’était comme une cage d’acier qui avait été, pour ainsi dire, enfouie à près de quarante pieds sous terre. Formidablement boulonnée dans ses angles et avec des murs d’une épaisseur extraordinaire, elle offrait un aspect de solidité qui pouvait défier les incendies et toutes les catastrophes possibles. Cette cage, à ce moment, renfermait vingt-deux coffres énormes faits de bois de chêne et renforcés d’épaisses lames de fer. Que contenaient ces coffres ? Ce sont ces deux personnages eux-mêmes qui vont nous l’apprendre.

— Du diable ! prononça Deschenaux avec humeur, si nous finirons jamais à nous débarrasser tout à fait de ces fâcheux qui se trouvent sans cesse sur notre route et toujours mêlés de quelque façon à nos affaires !

— J’avais bien cru les tenir tous aujourd’hui même, répliqua Bigot d’une voix basse, et voilà encore qu’ils nous échappent.

— Hormis ce Flambard que nous tenons bien cette fois, reprit Deschenaux avec un sourire cruel.

— Oui, si Verdelet arrive à temps à l’écluse.

— Il arrivera, monsieur l’intendant, car Verdelet hait Flambard… il le hait autant que nous pouvons, nous, le redouter ! Et quant à Vaucourt, nous nous reprendrons !

— Mais, malheureux, oublies-tu sa femme ?

Deschenaux se mit à ricaner.

— Sa femme ? dit-il. Bah ! elle ne compte plus… elle est comme morte !

— Sans doute. Mais souviens-toi des paroles de Maître Authier, « qu’un événement pourrait se produire qui lui rendrait la raison ».

— Si, par exemple, elle retrouvait son enfant ?

— Oui. C’est bien le cas de ne pas être trop sûrs de notre coup.

— Mais elle ne le retrouvera pas son enfant, assura Deschenaux avec un sourire féroce, quand je devrais l’étouffer net de mes deux mains !

Bigot, si peu émotionnable qu’il fût d’ordinaire, ne put s’empêcher de frémir à l’expression de son secrétaire.

Il demanda :

— Sais-tu ce que l’enfant est devenu ?

— Il a été confié à un mendiant de la basse-ville. Demain, j’irai le chercher et jamais plus il ne reverra sa mère.

— C’est bien, sois sans pitié. Ensuite, il faudra mettre ces coffres en sûreté.

— Ils sont très précieux, en effet, dit Deschenaux, c’est notre fortune monnayée ; sept millions en beaux louis d’or !

— Et vos pierres précieuses que je n’ai pas oublié d’y déposer avant que vous missiez le feu à votre maison.

— Je regretterai bien un peu mes tableaux et certains meubles de prix qui m’ont coûté fort cher ; néanmoins, il était prudent, je pense, de les laisser anéantir pour que je ne fusse pas soupçonné d’être l’auteur de ce désastre.

— Bah ! il vous restera toujours le mobilier de votre maison de la rivière Saint-Charles et celui de votre château de Beauport.