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LE SIÈGE DE QUÉBEC

— Bien, ça ne cassera pas.

Il arrangea les deux extrémités des cordes en nœud coulant et les fixa au cou des deux grenadiers, qui devenaient livides d’épouvante. Puis il les fit passer par-dessus le mur par les miliciens, saisit l’autre extrémité des cordes, tira à lui et cria :

— Allons, marche !

L’escorte se mit en marche vers un grand peuplier qui profilait sa silhouette haute et sombre contre l’horizon. Flambard tout en tirant les deux bravi fredonnait un air joyeux ; les miliciens suivaient en proférant des plaisanteries et en riant. Quant à Pertuluis et Regaudin, ils suivaient en chancelant : Pertuluis enrageait et maudissait son sort ; Regaudin, plus stoïque, recommandait son âme à Dieu et confessait tout bas ses péchés.

Là-haut, dans le ciel plus sombre les étoiles devenaient plus éclatantes, et leurs rayons argentés semaient dans l’espace une blancheur diffuse qui atténuait l’obscurité de la terre.


X

LA CASERNE DES CADETS


Lorsque l’escorte arriva en vue du beau et superbe peuplier, Pertuluis dit à Flambard :

— Si monsieur Flambard voulait m’écouter, il s’éviterait une bien vilaine besogne.

— Ah ! ah sourit Flambard en arrêtant l’escorte d’un geste.

— Et son âme n’aurait pas à se repentir l’éternité durant de la mort de deux pauvres grenadiers du roi de France, pleurnicha Regaudin tout en lançant un coup d’œil narquois à son compère.

— Est-ce à dire, demanda le spadassin moqueur, qu’on veuille confesser à papa Flambard ses petites escapades et ses petites saloperies ?

— Il y a, répliqua Pertuluis, que nous avons promis de ne pas mourir avant que nous n’ayons tué deux cents Anglais.

— Et vu que nous n’en avons tué encore que cent tout juste, voulut compléter Regaudin…

— Si bien, interrompit Flambard, qu’il vous en reste à tuer cent autres. Par l’enfer ! mes dignes amis, je serais un couard et un traître de priver le roi de France et cette splendide colonie de si bons serviteurs. C’est entendu, vous aurez toutes les chances du monde de tuer encore cent Anglais. Seulement…

— Seulement ? interrogea Pertuluis anxieux.

— Il y a une condition… Voyez-vous, ce n’est pas ma faute à moi, car j’ai également fait une promesse.

— Ah ! vraiment ? fit Regaudin. De tuer, peut-être, quatre cents Anglais ?

— Oui, répondit Flambard placidement. Mais j’ai promis en même temps de tuer avant tout deux malandrins, à moins toutefois, que ces deux malandrins ne me disent où est l’enfant que je cherche et que j’ai juré de ramener à son père et à sa mère. Or, vous savez que je sais tenir mes promesses. Donc…

Les deux grenadiers se consultèrent du regard, et Regaudin dit :

— Monsieur Flambard, pour que vous puissiez remplir vos promesses et nous les nôtres, nous vous conduirons là où est l’enfant que vous cherchez ; mais il est entendu que nous serons lavés de tout blâme. Car ce n’était pas notre faute, si…

— C’est bien, interrompit Flambard, je vous comprends et je consens à vous reconnaître tout à fait innocents. Ainsi donc, dites-moi où se trouve l’enfant !

— Oui, mais il y a aussi de notre part une condition, répartit Pertuluis.

— Ah ! ah !

— Ces miliciens, tout dignes et honnêtes qu’ils sont, ne devront pas nous accompagner à l’endroit où nous vous conduirons.

— Pourtant, répliqua le spadassin qui ne pouvait s’empêcher de conserver quelque méfiance à l’égard des deux bravi, ces honnêtes miliciens valent bien d’honnêtes grenadiers, et il n’y aurait nul inconvénient, il me semble…

— C’est précisément l’inconvénient qu’il y a, interrompit vivement Regaudin ; car l’affaire est secrète, très secrète, et nul n’y peut participer qu’il n’y soit directement intéressé.

Flambard, croyant que les deux compères demeureraient inflexibles, réfléchit un moment.

Puis il attira à l’écart les miliciens, auxquels il parut donner à voix très basse quelques ordres secrets. Les miliciens s’écartèrent de quelques verges des grenadiers, et s’immobilisèrent près d’un taillis où ils demeurèrent en observation et silencieux.

Le spadassin revint aux deux grenadiers.

— C’est bon, dit-il, je me soumets à vos exigences. Mais sachez ceci auparavant : si un accident m’arrivait d’ici demain matin, ces miliciens, qui vont ici même m’attendre, vous en tiendront responsables. Vous me comprenez ?

Pertuluis et Regaudin sourirent et répondirent :

— Nous sommes d’honorables grenadiers et nous ne connaissons pas la tromperie.

— Bon, où se trouve l’endroit en question ?

— Il faut nous délier les mains pour que nous puissions marcher plus commodément, suggéra Regaudin.

— Et nous retirer cette corde du cou, ajouta Pertuluis.

Flambard se mit à rire et demanda encore :

— Où est l’endroit ? En même temps il élevait ses regards sombres vers le peuplier non loin de là.

Les deux grenadiers surprirent le regard et aperçurent le grand et beau peuplier. Ils soupirèrent fortement, et Pertuluis dit :

— L’endroit est une maison du faubourg St-Roch située sous les remparts.

— Il y a joliment loin, remarqua Flambard, et la nuit tombe rapidement. N’importe ! nous irons.

Il prit dans chacune de ses mains les deux cordes qui demeuraient attachées au cou des deux grenadiers, tourna le dos et, tirant, dit seulement :

— Venez !

Penauds, mais peut-être aussi quelque peu narquois en dedans, les deux bravi emboîtèrent le pas.

La petite escorte franchit quelques fourrés épais, prit un chemin de traverse rendu impraticable par des troncs d’arbres, renversés au