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LE SIÈGE DE QUÉBEC

qu’il se fût trouvé encore devant le même objectif insaisissable : une ville juchée sur un rocher inaccessible et une armée inattaquable au pied de cette ville.

Wolfe enragea, il faillit même en faire une maladie mortelle. Quoi ! allait-il échouer misérablement et honteusement ? Non ! Cette ville, il l’atteindrait ! Cette armée, il la briserait !

Allons donc ! comment allait-il s’y prendre après tous les moyens épuisés en vains efforts ?

Eh bien ! il avait décidé de pénétrer dans les retranchements mêmes de l’armée et de l’y massacrer. Et pendant que quelques-unes de ses bandes poursuivaient leur œuvre de destruction dans les campagnes, le général anglais se disposa à jeter une grande partie de ses troupes sur Beauport,

Wolfe, après avoir visité le haut du fleuve au-dessus de Québec où Bougainville s’était apprêté à le recevoir, était revenu à l’Île d’Orléans, comme nous l’avons dit ; puis, ayant ordonné la dévastation des campagnes, il avait établi son quartier général sur la rive gauche de la rivière Montmorency, à un endroit appelé l’Ange-Gardien. Un moment, il avait espéré tromper la vigilance des Français : dans ce but il avait remonté le cours de la rivière pour la franchir à un endroit guéable et essayer de prendre par derrière l’armée de Montcalm. Mais la colonne qu’il avait envoyée avait trouvé sur son chemin le capitaine de Repentigny, qui commandait un fort poste sur la rive droite de la rivière. Avec ses Canadiens et sauvages Repentigny avait brusquement attaqué l’ennemi et l’avait repoussé avec de lourdes pertes.

Il ne restait plus au général anglais que l’alternative d’embarquer son armée sur des berges et de la conduire au rivage de Beauport. Là, s’offrait une vaste plage où il était facile de déployer une armée. Protégée par les canons de la flotte, cette armée pourrait atterrir sans beaucoup de difficultés. Wolfe le pensa ainsi, et il fit partager son avis à ses lieutenants. Il fut décidé qu’on reprendrait le bombardement de la ville pour occuper l’attention des Français de ce côté, qu’en même temps les canons de la flotte et ceux de l’Ange-Gardien feraient pleuvoir sur les retranchements français une grêle de boulets et de bombes, et que Hardy, qui commandait sur la rive gauche de Montmorency, prendrait en flanc l’armée du Chevalier de Lévis et tenterait de la séparer de l’armée du centre. Alors Wolfe, avec Monckton, Townshend et Murray, en profitant de la marée, se jetterait sur le rivage.

Ce plan avait été si bien conçu et il présentait de prime abord de si grandes chances de succès, que Wolfe fut tout rempli d’espoir.

Oui, mais les Français étaient là… ils veillaient !


VIII

MONTMORENCY


Ce fut le 28 juillet que les deux armées ennemies vinrent en contact pour la première fois.

Une chaleur torride régnait sur le pays. Ce jour-là, vers les onze heures de matinée, une légère brise du sud vint tempérer les ardeurs du soleil. Un peu après midi, l’horizon se chargea de gros et lourds nuages qui firent présager un orage ; car de ces nuages partaient de sourds grondements de tonnerre. Les Anglais se réjouirent, espérant que les éléments de la nature se joindraient à eux et favoriseraient leurs desseins, ils se préparèrent donc activement à l’attaque. Des hauteurs de la rivière Montmorency l’artillerie anglaise commença à bombarder les retranchements du Chevalier de Lévis.

Montcalm s’ingéniait à surprendre les plans de Wolfe. Quelles combinaisons avait pu faire le jeune général anglais pour arriver à faire prendre pied à terre à ses troupes ? Quel endroit pour débarquer choisirait-il ? Montcalm se le demandait avec curiosité. Il n’éprouvait aucune inquiétude, sûr de voir son adversaire marcher à un échec. Lorsque les canons de Montmorency commencèrent à tonner, il crut, non sans étonnement, que Wolfe voulait le prendre en flanc par la rivière. Aussi s’empressa-t-il de dépêcher des renforts à Lévis, bien qu’il le sût capable de ses seules forces de repousser toutes tentatives des Anglais de ce côté.

Mais sa pensée fut modifiée peu après, quand ses regards furent attirés par un mouvement général de la flotte anglaise sur la rade, et lorsque de cette flotte, qui s’était rapprochée de la côte, se mit à tonner du canon dont les projectiles atteignaient ses propres retranchements.

Un peu plus tard, il découvrit une nuée de berges bondées de soldats qui, à marée montante, se mirent à louvoyer en face du rivage de Beauport. Ces berges essayaient de masquer l’approche de deux transports anglais ; en effet, au bout d’une demi-heure les berges s’écartaient et les transports, bien pourvus de canons, allaient s’échouer sur la rive non loin de la route de Courville. De là, les transports se mirent à bombarder les tranchées et redoutes qui défendaient l’entrée de la route de Courville. Dans l’intervalle, le navire amiral, le Centurion, et trois autres vaisseaux approchaient le pied de la chute de Montmorency, et de ce point se mirent à canonner le camp français.

Cette fois Montcalm devina une partie du plan de Wolfe : celui-ci allait attaquer en flanc par la rivière Montmorency, puis en front entre l’entrée du chemin de Courville — chemin qui conduisait vers les hauteurs de Montmorency — et le pied de la cascade. C’était donc l’aile gauche qui se trouvait immédiatement menacée, et Montcalm se réjouit en songeant à quel insuccès marchait Wolfe. Tout de même, comme ce jeu pouvait n’être qu’une feinte du général anglais, Montcalm prit immédiatement toutes les précautions pour mettre son camp à l’abri d’un coup du sort, et à toute l’armée il ordonna des préparatifs de bataille. Après avoir renforcé l’aile commandée par le chevalier de Lévis qui, à son tour, envoya des renforts à Repentigny posté sur la rivière Montmorency, le général français expédia vers