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LE SIÈGE DE QUÉBEC

le poste, les deux colonnes durent traverser des fourrés épais. Elles se rencontrèrent tout à coup et se prirent l’une et l’autre pour des ennemis. Il se fit un terrible échange de mousqueterie qui ne manqua pas d’attirer l’attention des Anglais. Ceux-ci surgirent en masse, et avant que les Canadiens n’eussent reconnu leur méprise, ils les attaquèrent vivement. Il y avait eu confusion et désordre avant l’arrivée des Anglais, cette fois il y eut panique.

Cette escarmouche, sans profit aucun pour les Français, eut pour effet de mettre en défiance l’esprit du général Wolfe : il établit sur les hauteurs de Lévis une véritable garnison qui pouvait défier toutes les tentatives du général français.

Ce fut de ce moment que les canons anglais commencèrent à bombarder la capitale des hauteurs mêmes de Lévis. On était vers la mi-juillet, et durant un mois entier les batteries anglaises ne cessèrent de faire pleuvoir sur la haute-ville boulets et bombes. Presque tous les grands édifices, à commencer par la cathédrale, furent détruits : les boulets trouaient les toits et défonçaient les murs, les bombes allumaient l’incendie. Peu après, les canons de la flotte anglaise se mirent de la partie en s’attaquant, surtout à la basse-ville, qui en moins de trois jours fut réduite en débris. Les incendies étaient tellement fréquents que les soldats de la garnison durent se faire sapeurs-pompiers. Une grande partie des citadins dut chercher refuge hors les murs, en arrière des faubourgs et dans la campagne voisine. Beaucoup, cependant, demeuraient, dans l’enceinte, vivant dans les caves ou aidant la garnison à combattre les incendies. Vainement M. de Ramezay tenta de réduire au silence les batteries ennemies placées sur les hauteurs de Lévis ; ses canons, de trop petite portée, ne parvenaient pas à lancer leurs projectiles sur la rive opposée, et presque tous plongeaient dans les eaux du fleuve. Même si le commandant de la place eût été pourvu d’une meilleure artillerie, il aurait pu difficilement affecter les batteries anglaises, invisibles qu’elles étaient derrière un rideau de broussailles, et protégées aussi par des abatis d’arbres qui eussent formé un véritable mur d’arrêt aux projectiles venus de la ville.

Les chefs militaires français désespéraient de mettre fin à cette terrible destruction accomplie par les Anglais, destruction aussi barbare qu’inutile. Mais Wolfe avait pensé, par cette tactique, décourager le peuple et l’armée et faire amener pavillon. Mais quand la ville fut en cendres, il comprit combien la résistance de ces Canadiens et de ces Français serait tenace, et il tourna son esprit d’un autre côté.

Il fit cesser le feu de ses batteries et conféra avec ses principaux officiers. De même que Monckton et Saunders, Wolfe avait remarqué l’inefficacité de l’artillerie de la ville et la portée insignifiante de ses projectiles ; et cette constatation lui avait donné l’idée d’envoyer une partie de sa flotte vers l’ouest de la ville pour y localiser un point de descente. Lui-même fut de l’expédition sur le navire de Saunders ; et suivi de sept autres navires portant près de cinq mille hommes, il s’aventura à passer devant la ville en serrant de près la rive de la côte sud. Il passa sans avarie. Les boulets des canons français tombaient dans l’eau à quelques pieds des navires ennemis ; quelques projectiles seulement parvinrent à atteindre des mâtures qu’ils endommagèrent faiblement.

Cette manœuvre avait tellement effrayé Montcalm, qu’il envoya de suite de gros renforts à Bougainville. Ces renforts, la vigilance et l’activité de Bougainville eurent le bon effet de décourager les tentatives de Wolfe : il comprit qu’il ne pourrait mettre pied à terre à aucun endroit entre Québec et la rivière Jacques-Cartier. Remonter plus haut que Jacques-Cartier était, une imprudence dont il n’eut pas même l’idée.

Que faire ? Quoi tenter ?

Le jeune général anglais revint à l’île d’Orléans pour conférer à nouveau avec ses officiers.

Il ne sembla plus rester qu’un moyen : attirer l’armée française dans un piège et la briser ! Et il ne sembla se présenter qu’une entrée dans la place : la prise du rivage et des hauteurs de Beauport. Oui, mais comment faire sortir de ses retranchements l’armée de Montcalm ? Il songea à s’attaquer aux campagnes auxquelles, pensait-il, Montcalm ne manquerait pas de porter secours. Il se trompait encore, et il se trompa inutilement. Inutilement il encouragea ses troupes à commettre les pires barbaries ; il les jeta, comme une bande de fauves, sur les deux rives du fleuve avec ordre de tout détruire, de tout massacrer. Et durant un mois ces paisibles campagnes devinrent une proie facile ; tout fut mis à feu et à sang du Sault Montmorency à la Malbaie sur la côte nord, de Lévis à la Rivière-du-Loup sur la rive sud.

Les habitants, sans défense, prenaient la fuite à travers bois et cherchaient refuge dans les montagnes. Ceux qui ne fuyaient pas étaient impitoyablement tués, fussent-ils enfants, femmes ou vieillards. Les habitations étaient incendiées ainsi que les dépendances, les champs dévastés, les moissons rasées, les fontaines empoisonnées, les bestiaux saisis, les greniers dépouillés du peu qui restait. Près de seize cents habitations furent consumées ! Quant au nombre de morts, il demeurera toujours incalculable. Beaucoup furent tués, d’autres moururent d’inanition dans les bois… Jamais l’histoire n’avait vu pires actes ! Jamais encore un peuple civilisé n’avait déployé tant de vandalisme ! Jamais les soldats d’une nation dite « chevaleresque » n’avaient commis tant de forfaits et de crimes ! Les anciens barbares n’avaient pas été si inhumains ! Aussi, quoi qu’on dise ou pense, la renommée que s’est acquise James Wolfe, comme chef militaire, doit être à jamais ternie ! Sa gloire ne peut demeurer pure, car un linceul en couvre l’éclat !

Et lorsqu’il eut tout brisé, détruit, dévasté, il arriva à la fin de juillet avec ce bilan singulier : des cendres, des ruines, des haines semées et… pas de conquête ! l’armée française demeurait toujours à Beauport, sur le qui-vive ! Il aurait détruit entièrement le reste du pays,