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LE SIÈGE DE QUÉBEC

aucune chance d’atteindre la ville par un débarquement entre la rivière Montmorency et la rivière Saint-Charles.

L’est de la capitale pouvait donc être regardé comme à l’abri d’un coup de main.

Restait l’ouest. De ce côté Lévis avait manifesté quelque inquiétude, en émettant l’hypothèse que la flotte anglaise pourrait passer devant Québec. Montcalm avait de suite essayé de dissiper cette inquiétude, en affirmant qu’aucune flotte ne pouvait passer sous les murs de la ville, certain qu’il était qu’elle serait foudroyée par les canons de la haute-ville et l’artillerie disséminée sur les jetées du fleuve.

Ce fut Vauquelin qui sema la plus forte inquiétude, en émettant que les Anglais pourraient fort bien opérer un débarquement sur la côte sud, s’emparer des hauteurs de la Pointe-Lévis, que défendait un faible poste de miliciens seulement, et de ce point protéger de leur artillerie le passage de leur flotte.

Le conseil fut violemment ému : on découvrait, trop tard peut-être, qu’on avait commis une grande faute d’imprévoyance en n’assurant pas d’une défense efficace ces hauteurs. Cette faute, naturellement, retombait sur la responsabilité des chefs, et plus particulièrement sur le général Montcalm qui avait établi tous les plans de défense.

Le général voulut, de suite rétablir la confiance :

— Messieurs, s’écria-t-il, si jamais les Anglais réussissent à prendre pied sur ces hauteurs, nous irons les déloger !

C’était de la belle confiance qui fit son effet. Puis, tranquillisé, le conseil décida, à la suggestion de Vauquelin que l’intendant Bigot appuya, qu’on tenterait d’inquiéter les Anglais par tous les moyens et qu’on essayerait de décourager leurs projets et leurs tentatives de débarquement. Vauquelin soumit alors son plan de lancer contre la flotte ennemie des brûlots, qui mettraient le feu aux vaisseaux anglais et, finalement, forceraient la flotte à reprendre le chemin de la mer.

Ce plan fut adopté et mis en œuvre le lendemain soir. Mais ces brûlots n’eurent pas l’effet attendu ; ils ne causèrent aucun dommage aux navires anglais. Ayant été allumés trop tôt, ils furent aperçus de l’ennemi qui les prit à la remorque pour aller les échouer sur le rivage de l’Île d’Orléans, où ils se consumèrent doucement à la plus grande joie des Anglais.

Cette faillite ne parut pas décourager Vauquelin qui, quelques jours plus tard, recommença la même expérience et sans plus de succès. Elle occasionna, toutefois, le chavirement d’une berge montée par vingt-et-un marins que commandait le capitaine James Cook qui, plus tard, comme Bougainville, allait se rendre célèbre par ses voyages sur les mers du monde. Rapportons l’incident : cette berge avait été dépêchée pour prendre à la remorque l’un des brûlots de Vauquelin. Tandis que deux hommes travaillaient, dans une petite embarcation, à appliquer des grappins au brûlot, une autre berge anglaise, par une fausse manœuvre, vint prendre la berge de Cook en flanc et la fit chavirer. Cook et les dix-neuf hommes qui lui restaient furent jetés dans le fleuve. Mais grâce aux flammes du brûlot qui éclairaient la scène, Cook et quatre de ses hommes purent être repêchés, mais les seize autres trouvèrent la mort dans cet accident.

Vauquelin se décida à renoncer à ce jeu qui paraissait amuser fort les Anglais.

Le 30, Monckton, l’un des principaux lieutenants du général Wolfe, alla prendre position sur les hauteurs de Lévis où il établit de la grosse artillerie.

C’était précisément la manœuvre que Montcalm redoutait depuis deux jours. Vauquelin avait donc pensé juste. Mais il faut ajouter que Montcalm y avait aussi songé bien avant Vauquelin ; et c’est pourquoi, un mois auparavant, il y avait installé un petit poste de miliciens et de sauvages commandés par le sieur Étienne Charest. Ce poste insuffisant, mal armé et peu défendu fut emporté presque sans coup férir par les hommes de Monckton. Montcalm lui-même avait jugé ce poste insuffisant ; mais il avait espéré pouvoir le renforcer quand il serait besoin. C’était une faute de négligence qu’il importe d’attribuer surtout à ce chef militaire. La faute était si grave qu’elle compromettait la sécurité du pays : il est en effet certain que si ces hauteurs avaient été protégées par une grosse artillerie et rendues inabordables, jamais Saunders ou Wolfe lui-même n’auraient eu l’audace de risquer le passage de la flotte anglaise en les feux plongeants de la capitale et ceux de Lévis. Cette tactique aurait eu pour effet encore d’empêcher la flotte ennemie d’approcher trop avant dans la rade de Québec, et, par le fait, elle aurait diminué de près d’un tiers la trajectoire des projectiles anglais ; car des hauteurs de la Pointe-Lévis les canons français auraient commandé une bonne partie de la rade et tenu en respect les vaisseaux ennemis. Pourtant, cette faute se trouve atténuée du fait que Montcalm jugeait ses forces insuffisantes sur le côté nord du fleuve, pour les affaiblir encore en établissant de fortes défenses sur la côte sud. Et puis le mal était fait ; il fallait à présent ou en subir toutes les conséquences ou y remédier, ce à quoi Montcalm songea de suite.

Or Wolfe avait saisi cette faute et il avait su en profiter sans délai. Et prévoyant aussi que Montcalm tenterait de déloger le poste de Monckton, il l’avait de suite renforcé en hommes et en canons de gros calibre.

Montcalm, quelques jours après, avait organisé une expédition dans le but de secourir Charest et ses Canadiens et de rejeter les Anglais dans le fleuve. À la tête de cette expédition il mit le major Dumas qui partit seulement avec mille miliciens, parmi lesquels avaient été enrégimentés cinquante élèves du Séminaire et du collège des Jésuites, élèves qui eux-mêmes avaient réclamé l’honneur d’aller déloger les Anglais. Ils allaient échouer. L’on connaît cet incident que des Historiens ont appelé — était-ce par dérision ? — « le coup des Écoliers ». Dumas divisa ses hommes en deux colonnes et les dirigea, par deux voies différentes, vers le poste retranché des Anglais. Il était nuit lorsque, avant d’atteindre