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LE SIÈGE DE QUÉBEC

au-dessus de sa tête et regarda attentivement le capitaine. Elle tressaillit et sa surprise se changea en stupeur. À son tour elle regarda son mari comme pour lui demander l’explication d’un mystère qui se présentait à son esprit. De fait, ni l’un ni l’autre ne reconnaissaient le capitaine Vaucourt, c’est-à-dire celui qui était venu leur réclamer l’enfant.

Le père Raymond parvint à faire entendre ces paroles qu’il adressa à Flambard :

— Mais ce n’est pas le capitaine Vaucourt, ça !…

— Comment ! s’écria le spadassin en ricanant, vous ne reconnaissez pas l’homme qui est venu chercher son enfant ?

— Ce n’est pas lui qui est venu chercher l’enfant !

— Ah ! ah ! fit le capitaine en se rapprochant du mendiant. Ainsi donc vous ne me reconnaissez pas comme la personne qui s’est présentée ici en mon nom. Mais alors pouvez-vous me dire comment était cet homme qui est venu ?

— Celui qui s’est dit le capitaine Vaucourt, répondit le mendiant, ne vous ressemble guère.

— Était-ce, demanda Flambard, le même personnage qui vous a apporté l’enfant ?

— Non, pas le même. D’abord je dois vous dire qu’ils sont venus deux au mois de juillet dernier : l’un vint sur la fin du jour pour nous demander si nous nous chargerions, ma femme et moi, d’un petit enfant. Ce premier personnage, à son costume, me parut faire partie des gardes de monsieur l’Intendant. À la nuit suivante, un second personnage apporta l’enfant ; mais celui-ci, je ne pourrais le reconnaître, attendu que je n’ai pu voir ses traits. Il ne pénétra pas même dans ma maison. J’ouvris ma porte et il me remit l’enfant sans que je pusse voir son visage. À l’accent de sa voix je compris que ce n’était pas l’individu qui était venu au déclin du jour.

— Cet homme vous a parlé, interrompit Flambard, qu’a-t-il dit ?

— Quelques mots seulement comme ceux-ci, je pense : « Voici, père Raymond, l’enfant pour la charge duquel on vous a payé aujourd’hui cent livres ! »

— Et c’est tout ce qu’il a dit ? interrogea encore Flambard.

— C’est tout.

— On vous avait donc remis cent livres ? demanda Jean Vaucourt.

— Oui, répondit le mendiant, celui qui était venu dans l’après-midi m’avait compté cent livres et m’avait dit : « Voici, père Raymond, l’enfant du capitaine Vaucourt. Ayez-en bien soin. Le capitaine est blessé à la frontière où sa femme est allée le soigner. Si on est satisfait de vous, on vous paiera cent autres livres lorsqu’on viendra vous réclamer le petit. » Ma femme accepta donc le marché et de suite elle se prit d’une vraie passion pour l’enfant. Les jours se passèrent, les semaines, les mois. On ne venait pas réclamer l’enfant. Nous commencions à penser que les parents du petit étaient morts. Or, ce soir, vers le crépuscule, voilà que se présente un grand et terrible gaillard, vêtu comme un grenadier du roi, le visage affreusement massacré de balafres, et portant au côté une longue et lourde rapière, une rapière comme vous en avez une là, monsieur Flambard.

— Ah ! ah ! fit seulement le spadassin, très intéressé par cette histoire, et qui déjà soupçonnait quel était le gaillard vêtu en grenadier du roi.

Puis il demanda :

— Et ce grenadier est venu seul, père Raymond ?

— Seul il est entré, répondit le mendiant. Mais dehors, près de ma porte, j’ai aperçu un autre grenadier non moins terrible d’aspect que le premier.

— Le premier était grand et gros, n’est-ce pas ? l’autre grand aussi, mais mince, avec une figure chafouine ?

— Tiens ! vous les connaissez donc ?

— Puisque je suis aussi dans les grenadiers ! sourit Flambard.

— C’est vrai.

— Et que vous a dit le premier, celui qui avait une face affreusement massacrée de balafres ?

— Il a dit : « Père Raymond, je suis venu chercher mon enfant, mon beau petit Adélard. Je suis le capitaine Vaucourt… vous me reconnaissez ?  »

— « Non, que j’ai dit. Je ne me rappelle pas vos traits. »

Il s’est mis à rire.

« N’importe ! reprit-il en tirant une bourse. Voici cent livres d’or. Demain, puisque je constate que vous avez pris bien soin de l’enfant, je vous apporterai mille louis. »

— Alors, vous comprenez, acheva le mendiant, qu’on ne pouvait pas faire autrement que remettre l’enfant. Et vous dites, ajouta-t-il en regardant Flambard, que ce grenadier n’était pas le capitaine Vaucourt ?

— Non… puisque le voici !

— En ce cas, repartit le père Raymond, ce grenadier n’est pas venu de la part de monsieur le capitaine ?

— Non, de sa part à lui, répliqua Flambard durement, de la part, peut-être, d’autres gredins qui lui ressemblent. Père Raymond, connaissez-vous Pertuluis ?

— J’ai entendu parler d’un quelqu’un chevalier de Pertuluis.

— C’est le même personnage, c’est celui qui est venu.

— Ô mon Dieu ! s’écria le mendiant en se mettant tout à coup à pleurer, on a donc été trompés !

— Certainement, assura Flambard.

— Mais alors, monsieur Flambard, larmoya le vieux, vous devez nous en vouloir pas mal à moi et à ma vieille ?

La mendiante, sans prononcer une parole, venait de s’asseoir ; et de concert avec son mari elle se mit à pleurer et à gémir.

— Mes amis, dit Flambard, tranquillisez-vous, il n’y a pas de votre faute. Tout ce qu’il reste à faire, c’est de rattraper ce démon de Pertuluis et de lui faire rentrer dans le ventre ses impostures ; je me charge de cette besogne.

Et le regard du spadassin pétilla terriblement.

— Êtes-vous bien certain, demanda Jean Vaucourt en s’adressant à son ami, que ce soit