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LE SIÈGE DE QUÉBEC

Soudain, une grande clarté frappa ses yeux ahuris, et il poussa un soupir de joie indicible ; il se trouvait presque sans transition dans le grand jour.

Dans le grand jour ? Non… c’était le crépuscule qui tombait sur la terre. Mais ce demi-jour, après l’enfer qu’il venait de traverser, lui apparut comme un soleil rayonnant. Alors il reconnut qu’il nageait dans une sorte de canal qui, traversant des taillis, aboutissait à la rivière. Il jeta un rapide coup d’œil derrière lui, et il ne put découvrir l’entrée du souterrain.

— Allons ! murmura-t-il en soupirant de nouveau, je suis sorti à temps de cette taupière.

Et, à bout de forces, il se hissa sur le bord du canal pour se laisser choir sur un lit d’herbes molles et odorantes. Là, il aima se reposer et oublier la folle aventure qu’il venait de vivre, Il se reposa tant, qu’il s’endormit.

Il se réveilla en sursaut, dans la noirceur et dans le silence solennel de la nuit.

Un songe l’avait réveillé, un songe dans lequel Héloïse de Maubertin lui avait demandé son enfant !

Il se dressa debout, égaré, cherchant à ressaisir sa pensée, à secouer une torpeur inouïe qui engourdissait et ses membres et son esprit.

Puis un rayon de clarté passa dans l’obscurité de son souvenir, et il se dit :

— Comment ai-je donc oublié l’enfant d’Héloïse ?… Ah ! oui… le père Raymond… le mendiant de la basse-ville… C’est là qu’est l’enfant !…

Et, comme un détraqué, Flambard s’élança dans une course rapide vers la ville basse…


V

QUI AVAIT RÉCLAMÉ L’ENFANT DU CAPITAINE ?


Jean Vaucourt et Marguerite de Loisel avaient souvent frémi durant le cours de ce récit que venait de terminer notre héros.

Puis, le capitaine demanda en promenant son regard surpris autour de lui :

— Mais où diable est le père Croquelin ?

Le spadassin se rappela aussitôt avoir vu l’ancien mendiant à son entrée. Il gagna rapidement le vestibule, où il ne tarda pas à découvrir le père Croquelin étendu de tout son long sous le divan et immobile.

— Eh là ! père Croquelin, que faites-vous ? cria Flambard en le secouant rudement.

L’ancien mendiant sursauta, passa sa tête sous le divan et demanda, tremblant :

— Quoi ! c’est vous, monsieur Flambard ? Le diable noir n’est donc pas entré tout à l’heure ?

Le spadassin se mit à rire.

— Non, père Croquelin, le diable noir n’est pas entré ; ce n’était que son parent que j’ai prestement exorcisé.

— Au fait, vous êtes sorcier, et vous possédez des pouvoirs…

— Justement, père Croquelin, et entre autres celui de renvoyer en enfer tous les diables cornus, intrus et malotrus. Venez donc maintenant et n’ayez crainte ; celui-là qui est venu est reparti à belle vitesse.

L’ancien mendiant se releva, et, pour plus de sécurité s’étant signé, il suivit Flambard au salon.

Marguerite était allée chercher Héloïse à sa chambre pour l’emmener sans plus tarder aux Hospitalières.

— Mon ami, dit Jean Vaucourt au spadassin, Marguerite a décidé d’emmener sans plus tarder Héloïse à l’hôpital. Dès que toutes deux seront parties, nous nous rendrons chez le père Raymond pour, de là, nous présenter au Château Saint-Louis où Monsieur de Vaudreuil, qui demain se retirera à Beauport, m’a donné rendez-vous pour dix heures.

— Dix heures… dit Flambard, il reste peu de temps à notre disposition, car il est maintenant neuf heures.

Quelques instants après Marguerite de Loisel partait emmenant Héloïse, et nos deux amis sortirent à leur tour pour aller en la basse-ville. Avant de partir, le capitaine recommanda au père Croquelin de ne pas s’absenter, afin de se trouver là au cas où M. de Vaudreuil enverrait l’un de ses officiers chargé d’une communication quelconque.

Au moment où le capitaine et le spadassin s’engageaient sur la rue Saint-Louis, un détachement de la garnison s’éclairant de flambeaux passait. En tête marchait M. de Ramezay, et ce détachement était en train de faire une inspection des différents postes de défense de la ville, et aussi pour voir si les derniers édits et règlements relatifs au couvre-feu étaient partout suivis et respectés. La capitale vivait, depuis deux semaines, uniquement sous le régime de la loi militaire. Passé huit heures du soir il était enjoint aux citadins de ne pas sortir de leurs demeures et d’éteindre tous les feux, et ceux-là qui enfreignaient ces édits étaient exposés à subir des peines sévères. Si la capitale avait été à demi dépeuplée, il demeurait encore assez de populace à gouverner et à administrer ; et ce gouvernement, que menaçaient les canons anglais, se voyait contraint d’émettre des règlements sévères et d’user de mesures radicales pour assurer le plus possible la protection de la ville et de ses habitants. Donc nulle lumière et nul feu n’étaient autorisés dans l’intérieur des habitations, à moins, toutefois, que ces lumières demeurassent invisibles tout à fait de l’extérieur. Car on redoutait d’attirer l’attention de la flotte anglaise, et l’on voulait laisser croire à l’ennemi que la ville entière avait été abandonnée. Aucun habitant non plus ne devait sortir hors de ses murs, à moins d’un permis spécial du commandant de la place.

Aussi, en apercevant ces deux silhouettes humaines, qu’étaient celles de Vaucourt et de Flambard, qui se glissaient ou semblaient se glisser subrepticement dans l’ombre de la rue, M. de Ramezay arrêta-t-il aussitôt sa troupe pour demander d’une voix rude :

— Qui va là ?

Les deux amis s’arrêtèrent net, et le capitaine répondit en assourdissant sa voix sonore :

— Jean Vaucourt !

Et le jeune capitaine, suivi de Flambard, marcha vivement vers M. de Ramezay pour se