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LE SIÈGE DE QUÉBEC

il constatait tout le contraire : c’était une montée continuelle, douce si l’on veut, mais une montée quand même. Verdelet l’avait-il donc trompé ? Et pourquoi ?…

Tout en poursuivant lentement son chemin, Flambard méditait. Un souterrain qui monte ainsi vers le lit ou la berge d’une rivière…

Il s’arrêta tout à coup en tressaillant. Il prêta l’oreille : devant lui, dans le lointain, il croyait percevoir un bruit bizarre… un bruit semblable à un bourdonnement sourd.

Ce bruit augmentait, grandissait de minute en minute ; et il sembla à notre ami que ce bourdonnement était produit par une chute d’eau.

— Ah ! diable, se dit Flambard, est-ce que Verdelet se serait trompé en me parlant de la rivière Saint-Charles ? Ce souterrain ne va-t-il pas plutôt aboutir à la cascade de la rivière Montmorency ?

Il reprit sa marche, un peu surpris, un peu inquiet aussi.

Puis ses pieds trempèrent dans des flaques d’eau.

De l’eau !…

Oui, des flaques d’eau qui se faisaient peu à peu mares, étangs, lacs, rivière… Oui, une rivière coulait dans le souterrain, une rivière dont les eaux bruissaient et moutonnaient.

Flambard eut comme une révélation en se remémorant les paroles de Verdelet : que le souterrain aboutissait à la rivière Saint-Charles ! Pourquoi à la rivière et non ailleurs ? Pour, le jour venu et une fois que ce souterrain serait devenu inutile à celui ou à ceux qui l’avaient fait creuser, en faire disparaître tous vestiges. Et Flambard devina que la sortie du souterrain devait être aménagée d’une sorte d’écluse recevant les eaux de la rivière, et de cette écluse un canal devait amener l’eau dans le souterrain. De ce moment, il ne pouvait plus être possible de saisir les secrets des sous-sols. Oh ! monsieur Bigot avait des idées géniales, comme le pensa Flambard. À ce nom de Bigot il frémit ! Et il frémit davantage en songeant que cette écluse ne pouvait échapper son eau sans qu’une main d’homme n’en ouvrit la vanne ! Et cette vanne venait-elle d’être ouverte à l’intention de Flambard ?…

N’ayant pas le temps d’approfondir cette question et voyant l’eau monter, ou mieux descendre rapidement, notre ami prit sa course par instinct de salut. Il prit sa course en avant, vers la sortie. Pourquoi ne revint-il pas en arrière afin d’échapper au flot envahisseur ? Parce qu’il savait se heurter à une muraille de quinze ou vingt pieds de hauteur qu’il ne pouvait escalader : c’était la noyade sûre et certaine au pied de ce mur. Mais en allant de l’avant aussi vite que possible, il avait la chance d’atteindre la sortie avant que le souterrain fût tout à fait rempli d’eau. Flambard courait donc aussi vite que ses poumons pouvaient lui fournir de souffle, et en usant de toute l’élasticité et l’agilité de ses jambes. Il courait dans les ténèbres au risque de se défoncer le crâne contre les pierres des parois… il courait dans un ruisseau dont l’eau atteignait déjà la hauteur de ses genoux.

Il courait, et sa course diminuait à mesure que montait l’eau ; ses jambes se fatiguaient, son souffle faiblissait, et il se demandait avec angoisse s’il allait atteindre l’issue de ce tunnel avant qu’il fût tout à fait rempli par les eaux de la rivière.

L’issue !… Il lui semblait qu’il ne l’atteindrait jamais !

L’issue… c’était peut-être la fin de son existence !

Pour la première fois en sa vie, peut-être, Flambard sentit le souffle de la petite peur effleurer son échine.

Quelle souricière pour mourir !…

Il se rappela avoir lu certains livres, dans lesquels on racontait des histoires d’oubliettes et de souterrains qu’on emplissait d’eau pour empêcher les victimes de la vengeance humaine d’échapper à la mort, ou par simple raffinement de cruauté.

Et voilà qu’il vivait réellement une de ces horribles combinaisons de l’esprit du mal !

Et il courait toujours, et l’eau atteignait son ventre !

Mais n’allait-il pas enfin atteindre la sortie de cet antre affreux ?

Il avançait bien moins rapidement et toujours à tâtons. Ses yeux, maintenant hagards, ne percevaient dans cette obscurité qu’une sorte de blancheur mate qui s’agitait autour de lui, comme pourrait s’agiter un linceul. Il frissonna ! Ses oreilles bourdonnaient ! Ses poumons s’épuisaient ! Et l’eau montait toujours et plus rapidement.

Presque à bout de souffle, il s’arrêta un moment, la face humide de sueurs brûlantes, les jambes mortes. Il étendit les bras de chaque côté de lui, et le couloir lui parut plus large. Il éleva une main au-dessus de sa tête : il toucha la paroi supérieure. Il réfléchit.

— Allons ! je suis bien traqué et pincé, murmura-t-il. Ah ! je comprends bien à présent cette fatigue soudaine dont s’est plaint ce Verdelet d’enfer. Suis-je un peu nigaud ? Du diable ! s’il me reste un peu de cervelle ! Et ce Verdelet… s’il doit rire ! Il refusait que je le porte, jusqu’à la sortie ! Pardieu ! il avait bien raison, l’animal, puisqu’il savait que je venais donner dans une citerne !…

Mais dans cette citerne l’eau montait toujours…

— Voyons ! se dit Flambard, que vais-je devenir ?

Il se remit, non à courir cette fois, mais à marcher. Courir… il n’aurait pu le faire. L’eau atteignait sa poitrine. Le courant devenait plus rapide, et si lourd qu’il le repoussait en arrière.

— Il ne me reste qu’une seule et unique chance, se dit-il, me transformer en poisson !

Il se mit à nager. Ainsi, il pouvait avancer plus vite, mais non sans misères et difficultés. Parfois le souterrain se rétrécissait et nuisait à ses mouvements. Puis l’eau montant sans cesse, bientôt sa tête frôla les pierres de la voûte. Encore quelques pouces d’eau de plus, il serait dans un abîme ; et, épuisé comme il était, il n’irait pas loin !