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LE SIÈGE DE QUÉBEC

été rendu au bas de cet escalier pour amortir, sans le vouloir bien entendu, la chute de Flambard, celui-ci se fût assommé sur la pierre. Mais il avait eu la bonne fortune de rebondir contre Verdelet qu’il avait seulement saisi, et ne s’était fait aucun mal ; il avait seulement risqué de casser quelque chose au pauvre garde qui, à cette minute, valait bien peu de chose comme mortel.

— Merci, mon ami, dit Flambard, de m’avoir servi de marchepied. Ce n’est pas précisément ma faute si je descends un peu vite, depuis quelques minutes je me sens muni d’une paire d’ailes.

— Ici, souffla Verdelet, nous sommes en sûreté.

— À la bonne heure. Mais il y fait peu clair, avoue-le, on y voit à peine la longueur de son nez ! Et encore suis-je bien sûr de voir l’extrémité de mon nez ? N’importe ! Et où sommes-nous ici, cher ami ?

— Dans un souterrain.

— Dans un souterrain ! répéta Flambard comme un écho ahuri. Tu ne me dis pas !

— Ce souterrain débouche dans des taillis sur le bord de la rivière Saint-Charles.

— Oh ! oh ! s’écria Flambard intéressé, j’étais bien loin de m’imaginer qu’il existât des souterrains dans cette bonne cité de Québec ! Sommes-nous donc revenus au bon temps du régent de France, alors que tout Paris était creusé de souterrains ? Alors que pas une demeure de ces grands et nobles seigneurs de la Cour n’eussent en leurs sous-sols pourvus de souterrains, de caves secrètes, d’oubliettes, et de toutes ces bonnes choses qui vous mettent la petite mort dans le cœur ?

— Ce souterrain, reprit Verdelet, passe sous les murs de la ville, traverse le faubourg et descend vers la rivière, comme je vous l’ai dit ; seulement, pour en suivre la voie il faut s’y connaître un peu à cause d’obstacles qui s’y trouvent.

— Ah ! ah ! dit Flambard. Et qui a fait creuser ce beau souterrain ?

— Monsieur l’intendant. Il l’a fait creuser par cas où, un jour, la ville serait prise d’assaut par les Anglais.

— Bon, je comprends, sourit Flambard. Monsieur l’intendant se ménageait une issue pour s’échapper.

— Lui et ses amis, compléta Verdelet.

— Parbleu ! Et son argent aussi, naturellement ? fit placidement Flambard.

— Naturellement, oui.

— Bon, bon, très ingénieux ce bon monsieur Bigot ! Maintenant, mon ami, reprit Flambard, puisque tu connais ce souterrain et attendu que nous n’avons pas un luminaire pour éclairer notre marche, va le premier et guide-moi !

Les deux hommes se remirent en marche. Flambard remarqua que ce couloir sous terre était bas, tortueux et très étroit. Si étroit qu’en étendant les bras à demi seulement, il touchait aux parois. Et puis il était obligé de se courber pour ne pas heurter sa tête aux pierres rugueuses de la voûte. Ce souterrain lui rappela le passage secret que lui avait fait suivre Deschenaux au Palais de l’Intendance pour le conduire sur la trappe d’une oubliette, trappe que l’intendant Bigot avait fait jouer sous ses pieds.

À ce souvenir notre héros frissonna. Mais ici, dans ce souterrain, il ne redoutait pas les trappes et les oubliettes. Mais n’empêche qu’il demeurait sur ses gardes.

— Au moins, dit-il à Verdelet en ricanant, tu m’assures qu’il ne se trouve pas dans ce joli souterrain de trappe à renard ?

— Non, soyez tranquille. Mais il y a à mi-chemin un ruisseau à franchir, mais un ruisseau profond, un torrent au fond duquel il ne ferait pas bon de tomber.

— Bah ! s’écria Flambard avec indifférence, serait-il fleuve, mer, que nous le passerons, mon ami. Il se pourra peut-être que nous prenions un second bain, mais quel mal cela nous fera-t-il, attendu que nous sommes encore tout trempés comme des rats muskés. Et puis, quand on a voyagé à travers les fournaises de M. l’intendant, il n’y a pas de mal, que je sache, à voyager quelque peu à travers ses citernes et ses torrents !

Et Flambard se mit à ricaner longuement.

Verdelet marchait lentement et avec précautions. Le chemin était raboteux et plein de trous. À chaque pas il était à craindre de buter, de tomber, de donner de la tête contre les parois et s’assommer du coup.

Après une bonne heure de marche, Flambard tressaillit en entendant un sourd grondement qui semblait partir de sous ses pieds mêmes.

— Qu’est-ce cela ? demanda-t-il.

— C’est le torrent, répondit Verdelet, nous y arrivons.

À cet instant le spadassin fit un faux pas. Il étendit les mains pour chercher un appui. Sa main gauche toucha la paroi, et cette paroi lui parut si polie et si lisse qu’il ne put s’empêcher de tressaillir. Sa main ne touchait plus les aspérités qu’elle avait sans cesse senties aux murailles du souterrain. Il tâtonna rapidement et comprit que cette surface lisse était une porte de fer.

— Oh ! oh ! se dit-il, serait-ce une porte ouvrant sur un autre souterrain qui, décidément, commence à m’intéresser très fort ?

Saisi de curiosité, il aurait voulu s’assurer de la justesse de son hypothèse, mais il lui fallut suivre Verdelet qui avançait toujours.

Il pensa :

— Par satan ! je serais désireux de visiter à loisir ce souterrain, j’y reviendrai peut-être !

Verdelet cria :

— Attention ! Ici se trouve le torrent. Pour le franchir il faut passer sur deux poutres jetées en travers. Comme vous le devinez, ricana Verdelet, ce n’est pas le Pont-Neuf !

— N’importe, passe ! répliqua rudement Flambard.

Il entendait une eau mugir au fond d’une gorge profonde. Du pied il tâta pour localiser les deux poutres. Verdelet venait de franchir l’abîme.

— Est-ce large ? interrogea le spadassin.

— Vingt pieds au plus, répondit de l’autre côté le garde.

Vingt pieds, dans une obscurité pareille, à franchir sur deux poutres vermoulues et glissantes suspendues au-dessus d’un précipice