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LE SIÈGE DE QUÉBEC

ne suis pas certain de ne pas rêver. Jamais en ma vie je n’avais vu la mort me prendre, me saisir, m’étouffer dans ses bras, m’emporter ! Aujourd’hui… Est-ce bien aujourd’hui, ou hier, ou… ?

— Oui, c’était aujourd’hui, dans la matinée, sourit Jean Vaucourt.

— Bon, je me rappelle, sourit Flambard à son tour. Au fait, je n’ai pas eu le temps de rappeler encore tous mes souvenirs. Mais il est une chose qui ne me sort pas de l’esprit, une chose qui m’obsède : je ne croyais pas qu’on pouvait échapper à la mort une fois qu’elle nous avait happés à la gorge et au cœur ; non, je ne croyais pas que c’était possible ! Et encore, je ne croyais pas… il m’était impossible d’admettre qu’il y eût un enfer, et maintenant je sais, je suis certain que cet enfer existe !

— Vraiment ? fit Jean Vaucourt, étonné.

— J’y ai passé… je m’y suis vu démon moi-même… un autre démon m’y accompagnait ! Et puis, était-ce réminiscence de ces contes bleus de nos anciens qu’on me narrait dans ma jeunesse ?… Il me semble que j’ai quelque peu erré sur les bords du Styx, que j’y ai même plongé jusqu’au cou, que j’ai bu un tant soit peu de ses ondes noires et nauséabondes, que j’ai même, avec ce démon qui m’accompagnait…

Jean Vaucourt, malgré les malheurs qui le frappaient, ne put s’empêcher de sourire à voir l’image humoristique de Flambard et il l’interrompit pour demander :

— Ce démon… n’était-ce pas Caron qui vous accompagnait ?

— Hein ! ce passeur… ce nocher des enfers ? Non… ou, si c’était lui, l’animal, il avait pris pour la circonstance la figure d’un ancien garde de ce gueux de Lardinet que j’ai naguère dépêché à Satan, mais que je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer durant mon séjour dans cet enfer d’où j’arrive.

— Ce garde, dit Jean Vaucourt, n’était-ce pas Verdelet ?

— Tiens ! dit Flambard avec un air surpris, vous l’avez donc rencontré aussi ?

— J’étais là quand il vous a attaqué de sa rapière, et lorsque…

— Par les deux cornes de Lucifer ! s’écria le spadassin en se frappant le front, ai-je perdu une moitié de ma cervelle et prêté l’autre à ce chien de Verdelet ?

Il se mit à tâter sa tête et s’aperçut qu’une partie de ses cheveux manquait.

— Par le diable ! qu’est-ce cela ?

Marguerite de Loisel, après avoir fait coucher Héloïse, rentrait dans le salon à cet instant.

— En vérité il me manque une partie de ma tête ! reprit-il.

Et la figure de Flambard présentait un étonnement si drôlatique, que Jean Vaucourt et Marguerite ne purent, comprimer un éclat de rite ;

— Hein !… fit le spadassin peut-être plus étonné encore par ce rire soudain du capitaine et de Marguerite.

La jeune fille indiqua une glace à Flambard, disant, dans un hoquet de rire :

— Voyez-vous…

Flambard s’approcha de la glace. Durant quelques secondes il n’eut pas l’air de se reconnaître. Puis, tout à coup et tel un coup de tonnerre qui retentit, il poussa un terrible éclat de rire.

— Ha ! ah ! ah !… je comprends bien à présent l’épouvante qui a failli assassiner le père Raymond et sa moitié. Ils m’ont demandé si j’étais le diable ?… J’en ai bien l’air ! À moins que je ne sois l’un des chauffeurs de ce Lucifer que le diable étripe et écorne ! Par mon âme ! je ne suis plus Flambard ! Et mon vêtement… est-il un peu déchiqueté ? Du diable ! si j’y comprends la moindre chose !…

— Faites-nous le récit de votre aventure, dit le capitaine pendant qu’Héloïse se repose ; car bientôt elle partira pour l’hôpital avec mademoiselle Marguerite.

— Si vous permettez, j’irai auparavant me débarbouiller un peu et mettre un autre vêtement.

— Je vous conduis à votre chambre, dit Vaucourt, si mademoiselle Marguerite veut bien nous excuser.

Marguerite se borna à sourire avec un geste d’assentiment, et les deux hommes sortirent du salon.

Au bout d’une demi-heure le spadassin reparut, lavé, nettoyé, les cheveux coupés, et vêtu d’un costume tout neuf de grenadier. Disons-le ici encore une fois, durant longtemps en France, Flambard avait fait partie d’un régiment de grenadiers du roi que commandait le comte de Maubertin.

Et pour finir la toilette du spadassin, Jean Vaucourt lui avait prêté une longue et solide rapière.

Et voici la narration qu’il fit de son aventure.


IV

LE SOUTERRAIN


On n’a pas oublié comment, en un récit antérieur intitulé La Besace de Haine, Flambard avait vu le plancher s’ouvrir sous ses pas en la maison de l’intendant Bigot, après qu’une corde déroulée par une main invisible s’était enroulée autour de son cou, corde que le garde Verdelet avait rapidement ajustée. Mais non si rapidement que Flambard, qui venait d’échapper sa rapière, n’eût eu le temps de saisir le garde par un bras et de l’entraîner avec lui dans un abîme de feu — l’enfer peut-être ! — en lequel il tombait.

Cela n’avait duré ce que dure un éclair, puis deux portes avaient glissé dans les murs et s’étaient refermées, juste au moment où Héloïse de Maubertin venait de trancher la corde, qui s’était enroulée au cou du spadassin, avec la rapière même de ce dernier.

Et, alors, que s’était-il passé de l’autre côté de cette porte ? Voici :

Flambard, entraînant Verdelet avec lui, était tombé dans un brasier ardent.

D’abord, au contre-coup que subit le spadassin au bout de la corde, il perdit presque le