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LE SIÈGE DE QUÉBEC

Le spadassin s’inclina devant la jeune femme, disant :

— Pardon ! madame, si je suis entré un peu brusquement.

Il considéra Héloïse avec une nouvelle surprise et, regardant le capitaine, demanda à voix basse :

— Elle ne me reconnaît donc pas ?

— Non ! répondit par un geste négatif et avec un air découragé le capitaine Vaucourt.

Héloïse, après avoir regardé le spadassin assez longtemps et comme avec horreur, dit à Marguerite d’une voix étouffée :

— Jean ne vient donc pas me retrouver ici ?

— Oui, il va venir, répondit Marguerite.

— Et il va ramener mon petit Adélard ?

— Oui, Héloïse, il va vous le ramener.

Jean Vaucourt murmura à l’oreille de Flambard, qui esquissait une mimique de profonde stupeur :

— Comme vous le pouvez constater, mon ami, elle est tout à fait folle !

— Oui, en vérité. Et pourtant, chose curieuse, la jeune femme paraissait reconnaître Marguerite de Loisel.

Elle dit avec un air de grande lassitude :

— Chère Marguerite, je suis bien fatiguée… conduisez-moi à ma chambre !

Puis elle jeta encore un regard perçant et effarouché vers Flambard et demanda d’une voix craintive :

— Quel est cet homme ? Que vient-il faire ici ? Est-ce un mendiant ? Voyez ses vêtements, son visage et ses mains ! Ne serait-ce pas plutôt un charbonnier ?

— Je vous l’ai dit, chère Marguerite, c’est notre ami Flambard !

— Flambard !… murmura la jeune femme en hochant la tête.

Puis, comme le spadassin continuait de la regarder avec persistance, elle détourna les yeux en frissonnant, saisit une main de Marguerite et, l’entraînant, cria :

— Allons-nous-en, Marguerite, cet homme me fait peur ! Oui, j’en ai peur… j’en ai peur !

Jean Vaucourt fit un geste à Marguerite de Loisel en lui chuchotant :

— Conduisez-la à sa chambre, mademoiselle, pour qu’elle se repose un peu !

Marguerite quitta le petit salon avec la jeune femme, qui disait encore :

— J’ai peur de cet homme, Marguerite… allons-nous-en !

Après la sortie des deux femmes, le capitaine se laissa choir sur un fauteuil et murmura, accablé :

— Flambard, je suis bien malheureux !

— Malheureux ? Je crois bien, répondit Flambard. Mais il importe de chasser les désespoirs et les découragements, mon ami, car plus que jamais il faut lutter. Aujourd’hui, l’heure devient effrayante : nous n’avons plus seulement les ennemis du dedans à combattre, nous avons les Anglais qui, nul doute, se préparent à l’attaque de la ville. Il faut lutter encore, capitaine… il faut lutter toujours !

— Ah ! lutter… quel plaisir, quel bonheur j’y trouverais, si j’avais encore ma femme et mon enfant !

— Votre enfant ! cria Flambard. Ne l’avez-vous pas ?

Le capitaine regarda le spadassin avec étonnement.

— N’êtes-vous pas allé le réclamer à ce mendiant de la basse-ville, le père Raymond ?

— Non, je n’ai pas eu le temps d’y courir. J’avais ma pauvre Héloïse à garder. Après l’incendie de la maison de Bigot, j’ai emmené ma femme ici et j’ai envoyé le père Croquelin chercher Marguerite de Loisel à l’Hôpital-Général. Marguerite n’a pu venir avant ce soir. Elle est ici depuis une heure à peine. N’avez-vous pas vu une voiture à la porte ?

— Non, je n’ai pas remarqué.

— Eh bien ! Marguerite va emmener Héloïse à l’Hôpital et la soigner. Elle pense que ma pauvre femme reviendra à la raison.

— Je le souhaite, pauvre Héloïse ! soupira Flambard. Ainsi donc vous n’êtes pas allé chez le père Raymond ?

— J’allais m’y rendre après le départ d’Héloïse pour l’Hôpital.

— Eh bien ! n’y allez pas, c’est inutile. J’en reviens, et votre enfant n’est plus là.

— Que dites-vous, Flambard ? Mon enfant n’est plus chez ce père Raymond ? Ah ! allez-vous m’apprendre un nouveau malheur ?

— Capitaine, répliqua Flambard avec une sourde colère, nous sommes pris dans un terrible complot, et nous sommes en train de jouer une partie dans laquelle nous ne tenons pas les meilleures cartes. Nos ennemis semblent avoir en mains tout l’atout : car une personne que je ne connais pas et que je ne soupçonne même pas s’est présentée chez le père Raymond en votre nom, et cette personne a réclamé et emporté l’enfant.

— Elle a emporté l’enfant !…

— Et, à entendre le père Raymond, il faut croire que cet homme s’est présenté comme étant Jean Vaucourt lui-même.

— Oh ! si cet homme était Bigot ! s’écria le capitaine en se levant avec une furieuse énergie.

— Non, ce n’est pas Bigot. Car Bigot est trop connu du peuple, car Bigot ne fait pas ces sortes de besognes lui-même, il a des agents pour les exécuter.

— Mais alors que penser et que faire surtout ?

— D’abord, je pense qu’il n’y a rien à craindre pour la vie de l’enfant, car personne, pas même nos plus cruels ennemis, n’a d’intérêt à tuer ce petit enfant. Que faire ensuite ?… Il n’y a qu’à nous mettre à sa recherche. Je vais retourner chez le père Raymond et me faire donner une description de l’homme qui lui a réclamé votre petit. Avec cet indice, si l’on peut appeler si peu un indice, je pourrai me guider.

— Merci, mon ami, j’ai confiance en vous. Mais dites-moi donc, vous que je croyais mort, dites-moi quelle aventure extraordinaire vous avez passé ?

— Une aventure si extraordinaire, sourit Flambard, qu’elle me paraît folle et invraisemblable. Je me demande encore d’où je reviens exactement. J’en suis encore si ahuri que je