Page:Féron - Le siège de Québec, 1927.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
LE SIÈGE DE QUÉBEC

et se jeta à plat ventre sur le plancher, face dans la poussière et demeura frissonnant.

À ce nom de Flambard, la vieille femme s’était hâtivement accroupie sous la table.

Le spadassin partit d’un grand éclat de rire.

— Eh bien ! demanda-t-il quelque peu étonné des gestes de ces gens, me direz-vous quelle frousse vous prend ?

Le père Raymond releva un peu la tête et bégaya :

— Ah ! si vous n’êtes pas le diable, comme vous le dites vous-même, tout de même le père Croquelin nous a assurés que vous étiez sorcier, ce qui revient pas mal au même !

— Le père Croquelin m’a calomnié, pauvre vieux, sourit Flambard. Vous voyez bien que je suis un homme comme les autres.

Un homme comme les autres !…

Le vieux et la vieille se relevèrent, à demi et se prirent à le considérer avec un air fort douteux.

Ah non ! il n’avait pas certes l’air d’un homme comme les autres !…

Ils avaient bien entendu parler de ce fameux Flambard et de sa terrible rapière, mais ils ne l’avaient jamais vu. Or, ils le voyaient maintenant… Il est vrai qu’il n’avait pas à ce moment de rapière à son côté ou en sa main, mais il avait un air bien autrement terrible !

— Mais d’où venez-vous tout de même ? demanda encore le mendiant en se remettant debout, exemple qu’imita sa femme.

— Je vous l’ai dit, je reviens de l’enfer ! Oh ! ajouta-t-il en ricanant lugubrement, vous ne saviez pas qu’il existait un enfer, père Raymond ? Moi, j’en doutais également malgré le saint Évangile. Eh bien ! à présent j’y crois, je l’ai vu, je m’y suis brûlé à mon soûl, j’ai piétiné dans ses flammes ardentes, et, par les deux cornes de satan ! je me demande encore comment je m’en suis échappé ! Voyez…

Il montrait ses mains brûlées et ses vêtements en lambeaux et roussis par le feu.

— Si nous voyons !…

Et le vieux mendiant regarda sa femme avec des yeux pleins de folle épouvante, sa femme qui oscillait d’horreur et ne cessait de se signer chaque fois que parlait Flambard d’enfer, de diable et de feu.

— Et à présent que vous savez mon histoire, père Raymond, reprit Flambard, dites-moi où est l’enfant, car je ne le vois pas ici.

— L’enfant ?…

Le père Raymond laissait voir une surprise extrême.

— Que signifie cet air surpris ? demanda sévèrement le spadassin. Vous gardiez ici un enfant volé, l’enfant du capitaine Jean Vaucourt. Or, le capitaine m’envoie le chercher.

— Il vous envoie le chercher !…

Le vieux regarda encore sa femme avec hébétement. Elle, demeurait muette et stupide : muette de surprise, stupide de terreur.

Flambard marcha au mendiant, lui posa une main lourde sur l’épaule et commanda sur un ton menaçant :

— Répondez : où est l’enfant ?

— Mais… bredouilla le vieux qui ployait sous la main pesante de Flambard, l’enfant… il est parti !

— Parti !… cria le spadassin.

— Depuis le crépuscule… trois ou quatre heures au plus !

— Qui est venu le chercher ?

— Mais… son père… le capitaine !

Flambard fit entendre un sourd grondement.

— Ah ! le capitaine est venu… il y a quatre heures !

Et, pirouettant soudain sur ses talons, il s’élança vers la porte, se jeta contre, l’enfonça, sortit comme une rafale…

— Si c’est pas le diable, ce Flambard, murmura tout ébahi et tout consterné à la fois le père Raymond en considérant sa porte brisée, c’est pour sûr un sorcier !…

Et, pour la centième fois peut-être, la vieille mendiante fit le signe de croix.


III

CHEZ JEAN VAUCOURT


Flambard, comme un fou, sinon comme un démon sorti de l’enfer, courait vers la haute-ville. Il bousculait passants, gardes, sentinelles. Il passait comme une ombre fantastique en la ville obscure où l’on ne pouvait se guider sûrement qu’à l’aide d’un falot. Cette nuit-là, on ne pouvait découvrir par toute la cité qu’une demi-douzaine de réverbères ; et encore ces réverbères qu’on avait allumés répandaient une si faible lumière, que cette lumière ne ressemblait tout au plus qu’à un feu de bougie. Mais Flambard paraissait doué de l’œil du chat ou du flair de la taupe, il courait par les rues et ruelles aussi sûrement qu’en plein jour.

Il arriva, tout en sueurs, rue Saint-Louis et violemment heurta la porte de Jean Vaucourt.

Ce fut le père Croquelin qui vint ouvrir.

L’ancien mendiant faillit tomber sur le dos en apercevant l’apparition fantastique que présentait l’image de Flambard à cet instant.

Mais vu que le spadassin n’avait pas le temps des explications apparemment, il passa comme un bolide sur le corps du père Croquelin, enfonça une porte et disparut. Le père Croquelin, qui avait cru avoir affaire à une bête fauve, se releva vivement et alla se fourrer sous le divan du vestibule.

La porte que Flambard venait d’enfoncer était celle de ce petit salon que nous connaissons, et dans lequel il trouva Jean Vaucourt en compagnie d’Héloïse de Maubertin, sa femme, et de Marguerite de Loisel.

Les deux femmes avaient jeté un cri d’indicible émoi.

Le capitaine s’était élancé vers le spadassin.

— Vous !… s’écria-t-il stupéfait. Nous vous avions cru mort !

— Je l’étais, capitaine… oui, j’étais bien mort en effet, mais je suis ressuscité !

Héloïse, avec des yeux égarés fixés sur la silhouette affreuse de Flambard, reculait vers la porte du réfectoire en manifestant une grande terreur.

Marguerite essaya de la rassurer.

— N’ayez pas peur, Héloïse, c’est notre ami… Flambard !