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d’un gros tuyau de verre. À quoi pouvaient servir ce filet et ce tuyau de verre ? Les trois agents se le demandèrent vainement ; tout comme ils se demandèrent en vain à quelle opération était destinée la machine elle-même.

Ils allaient bientôt en comprendre toute la signification et tout le fonctionnement.

Et si, à ce moment, les trois agents de police avaient eu encore leurs cheveux sur la tête, ces cheveux fussent tombés d’eux-mêmes fauchés par l’épouvante. Et cette épouvante fut d’autant plus vive, d’autant plus féroce que l’un des Éthiopiens venait de saisir M. Godd et de le coucher sur la table à rouleaux. Or, ces rouleaux étant ornés de longues pointes en verre fort aigues, M. Godd s’en allait vers les cylindres, il y glissait lentement et sûrement. Il s’y voyait rouler sans pouvoir ni parler, ni crier, ni supplier, ni demander grâce… On eût juré qu’il avait perdu la langue. La lividité de son visage était déjà cadavérique. On voyait les nerfs de son cou se tendre avec un effort à les faire éclater. M. Godd glissait quand même, toujours vers les deux cylindres. Il en approchait, les pieds en avant, de sorte qu’il était loisible de voir de ses yeux désorbités tout l’effrayant mécanisme, tout le terrible engrenage dans lequel il se voyait déjà entrer. Car, alors, il se produisit une sorte de déclic ; les deux cylindres s’écartèrent légèrement, en ce sens que l’un s’éleva, l’autre s’abaissa, pour recevoir les pieds de M. Godd. Puis, par un second déclic, les deux cylindres se refermèrent comme une mâchoire.

De ce moment ce fut un bruit étrange, très curieux qui frappa l’ouïe du chef de l’agence policière, M. Godd, en dépit de l’épouvante qui le tuait à demi, malgré une douleur jamais imaginée, et malgré mille et mille souffrances, oui, M. Godd entendait parfaitement le broiement de ses os, le déchirement de ses chairs, le giclement de son sang. Et il voyait