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— Allons le recevoir !

Et la camériste s’effaça. Un jeune homme irréprochablement mis (pelisse, chapeau melon, gants gris clair, canne cerclée d’or) s’avance un sourire aux lèvres, inclinant la tête et le buste dans une courte et juste révérence. Son premier regard avait été pour la jeune et belle femme ; le deuxième, pour l’homme qui l’accompagnait.

Et celui-ci, le docteur, recula, surpris, et balbutia à l’oreille de sa femme :

— Est-ce mon neveu ?… Il n’est pas blond !

— Il n’est pas châtain non plus !

— Loin de là… il est plus noir que moi, mon Dieu ! c’est un Africain !

Le jeune homme s’avançait posément, sans gêne, sans trouble, mais sans forfanterie non plus. Il était très noir de cheveux et il avait le teint joliment bistré, la moustache fine, très noire aussi, aux pointes parfaitement effilées.

Il s’arrêta à trois pas de ses hôtes, s’inclina de nouveau et dit :

— Mon oncle, ce n’est pas un enfant prodigue que vous voyez devant vous, mais le plus aimant des neveux !

Puis, avec une profonde révérence à Lina :

— Madame, je vous prie de me recevoir comme le plus humble de vos serviteurs !

Alors seulement le docteur parut sortir de son ébahissement et de sa surprise pour s’écrier avec une parfaite bonhomie :

— Du diable ! Benjamin, si je t’aurais jamais reconnu ! Mais… tu étais châtain ?

— Moi ?… Ah ! ah ! ah !…

— Mais… tu étais certainement blond ?

Le jeune homme amplifia son rire.

— Mon oncle, dit-il, on m’a toujours dit que j’étais l’exemplaire de votre image… que deux gouttes d’eau — du moins à cette épo-