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— Je n’étais qu’une pauvre petite chanteuse, une choriste.

— Vous étiez la plus ravissante !

— Depuis deux ans déjà, je traînais lamentablement sur les planches de ce vilain Métropolitain…

— Il était superbe quand vous étiez là !

— J’y voyais de nouvelles venues. — Oh ! non pas que je fusse jalouse ! — dont la voix ne valait pas la mienne, et qui me devançaient, montaient l’échelle, sortaient des chœurs devenaient des étoiles…

Mais ces étoiles pâlissaient devant la vôtre !

— Et alors, moi qui avais ma pauvre mère et mes chères sœurs à supporter, je désespérais de l’avancement, et je sentais qu’avec mon maigre salaire la vie finirait par m’échapper. Je voyais avec terreur ma mère et mes sœurs succomber sous le poids de la misère.

— Mais j’étais là, Lina ; votre rayonnement m’avait frappé au cœur !

— Comme vous avez été bon… Et je me voyais seule dans ce profond New-York… j’étais délaissée par mes camarades parce que…

— Votre vertu faisait peur à leurs vices !

— Il y avait comme une jalousie chez elles — Oh ! non pas encore que je les enviasse, moi, dans leurs situations brillantes…

— Mais elles… elles enviaient votre beauté !

— Et pourtant, je cherchais à me faire modeste, je tâchais de dissimuler ma beauté…

— Vous ne le pouviez pas : plus vous songiez à la cacher, plus rayonnante elle se révélait !

— Je modifiais ma voix. Je la dénaturais, afin qu’elle ne fût pas remarquée, et que, de ce fait, je ne fusse pas un obstacle à l’avancement de mes camarades. Mais je souffrais… Ah ! j’étais si misérable !…

— Mais je vous apparus…

— Comme un radieux soleil levant !