Page:Féron - Le patriote, 1926.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cha sa tête brune et son grand front, et se plut à respirer largement l’air serein du matin. Puis, comme s’il fût sorti d’un songe, il regarda avec étonnement tout ce que ses yeux pouvaient atteindre. Par-dessus la muraille du bâtiment qui s’élevait devant lui il pouvait découvrir, mais vaguement à cause de la brume légère qui venait de la mer, une multitude de toits aux couleurs variées, de pignons de toutes formes, de cheminées, de tourelles, de clochers. Puis, à mesure que la brume s’éloignait vers les terres emportée par une brise de mer, une nappe d’un bleu tendre se dessina au-dessus des toits. Et ce ciel bleu, d’un vrai beau bleu, d’un bleu qui lui sembla tout aussi doux au regard que le bleu des ciels de France, s’élargit, s’amplifia, s’éleva, devint immense. Puis le bleu s’attendrit encore, il parut s’abaisser vers la terre ou s’en élever davantage tandis que de timides reflets roses, écarlates, jaunes et violets semblaient le percer comme des flèches. Et les toits, les pignons, les tourelles se mirent à reluire de couleurs plus vives et légèrement changeantes à mesure que grandissaient les clartés de l’aurore. Le jeune homme crut se trouver devant un tableau immense sur lequel le peintre avait jeté tout le coloris de son imagination. Il regarda avec ravissement.

Les premiers rayons du soleil changèrent encore une fois les couleurs, et bientôt toutes choses avaient repris leur aspect ordinaire. Seulement, dans le grand ciel moins bleu maintenant, le jeune homme aperçut des nuées de moineaux, d’hirondelles, de tourtereaux qui venaient s’ébattre sur les toits et les pignons, faisant entendre leurs gais fredonnements. Et au-dessus, très haut dans le ciel, il vit les grands oiseaux aquatiques planer dans un vol majestueux, monter, descendre, tournoyer, puis reprendre à tire-d’aile le chemin de la mer.

Oui, Hindelang avait regardé de toute la puissance de ses yeux ce décor inconnu qui lui plaisait. Et maintenant, après les inquiétudes et les soucis qui assaillent tout étranger en terre nouvelle et lointaine, le jeune homme sentait naître en lui-même une confiance joyeuse.

Il aurait voulu voir encore davantage de ce pays de l’or, mais la portée de son observatoire était trop restreinte.

Il abaissa ses regards vers la ruelle à quelques mètres au-dessous. À cette minute, un individu poussait une petite charrette chargée de légumes et de fruits aux senteurs exquises. Le marchand ambulant gagnait la place.

C’était l’unique bruit entendu par Hindelang que le roulement de cette charrette sur le pavé raboteux de la ruelle. La ville semblait dormir encore.

Hindelang pensa qu’il ne pouvait être plus de cinq heures.

Mais juste au moment où son regard s’appliquait à suivre la petite charrette, sur la place même il aperçut des hommes qui se dirigeaient vers le port, et ces hommes lui parurent des travailleurs.

Puisque déjà des êtres humains allaient par la cité, il résolut de sortir de l’auberge et d’aller flâner par çi par là en attendant l’heure du déjeuner.

Il entendit un tintement sonore qui semblait partir de la place. Il compta chaque coup jusqu’à cinq. Il était cinq heures.

— Allons, murmura-t-il, j’ai trois heures devant moi et je n’ai rien de mieux à faire que d’aller m’instruire sur les lieux où je dois faire mon séjour pour longtemps.

Il remarqua que le marchand ambulant installait sa charrette sur la place au coin de la ruelle. Alors il vit des rayons de soleil dorer et velouter les beaux fruits. Une salive irrésistible mouilla ses lèvres.

Il s’empressa d’endosser son frac, coiffa son chapeau haut de forme et quitta sa chambre. L’auberge demeurait silencieuse et paisible.

En mettant les pieds sur la Place il aperçut le marchand de fruits qui le salua d’un sourire.

— Combien pour ces beaux fruits ? demanda Hindelang en s’approchant.

— Deux sous pièce, monsieur, répondit l’homme avec le plus pur accent de Paris.

— Vous êtes donc parisien, monsieur ? demanda Hindelang avec émotion.

— Comme vous, mon gentilhomme ! sourit le marchand.

Hindelang acheta quelques fruits, causa un moment, et traversa la Place dans la direction du port où la vie renaissait rapidement.

Là encore, parmi, il est vrai, de nombreux vocables américains, il entendit résonner le verbe de France.

Sa joie et sa confiance en l’avenir grandirent.

— Ah ! pensa-t-il, je ne suis pas si loin de la France que je l’avais redouté.

Il approchait huit heures quand, après avoir erré çà et là par la cité, le jeune fran-