Page:Féron - Le patriote, 1926.djvu/63

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Le jeune homme essaye de la repousser encore.

— Pauvre enfant ! gémit-il, vois donc que je ne suis plus qu’un cadavre !

Il pleure et se détourne d’Élisabeth. Mais il aperçoit Mme de Lorimier près de son mari.

Il fait un geste de colère et crie :

— Oh ! mes yeux, cessez donc vos pleurs, des femmes vous regardent !

Puis, par un effort sur lui-même, il sourit à Élisabeth tendrement et dit avec une voix qui se meurt :

— Pauvre Élisabeth ! je ne veux pas laisser une veuve, comprends-tu ! Les Anglais n’en ont-ils pas laissé assez de ces pauvres femmes derrière les ruines qu’ils ont semées ? Ah ! non… je ne veux pas ! Allez, allez, Élisabeth ! soyez heureuse et souvenez-vous d’Hindelang !

La jeune fille chancelle, elle est plus livide qu’un cadavre.

— Emmène-la. Simon ! commande Hindelang à l’aubergiste qui ne sait comment interpréter cette scène.

Simon Therrier s’approche.

Un râle s’échappe de la gorge d’Élisabeth, elle étend les bras, elle s’affaisse…

L’aubergiste la supporte.

Hindelang la regarde un moment avec extase. Comme elle est belle encore avec cette pâleur qui s’étend sur son visage blond ! Il se penche et baise longuement les lèvres closes de la jeune fille.

Élisabeth est évanouie.

Alors Hindelang pousse un cri lugubre, et pleurant, courant, sanglotant, il gagne sa cellule, se jette à plat ventre sur son lit et continue de pleurer et de rugir.

Vers la jeune fille évanouie et l’aubergiste éperdu le chevalier est accouru.

Il soulève la jeune fille dans ses bras, la transporte doucement à la salle commune. Là, aidé de Mme de Lorimier, il introduit quelques gouttes de vin entre les dents serrées d’Élisabeth. L’instant d’après la pauvre enfant revient à elle. Elle ne voit plus Hindelang. Elle voit le chevalier, sa femme, mais elle ne semble pas les reconnaître. Puis elle aperçoit Simon Therrier qui pleure doucement. Elle fait un geste, tend sa main brûlante et dit :

— Simon, allons-nous-en !

Sa voix est brisée.

— Viens, Simon… tu emmènes une veuve !

Elle suffoque, elle titube, elle entraîne Simon vers la grille.

À mesure qu’elle marche son pas devient sec, rapide, et l’on dirait qu’elle a hâte de sortir de cet antre de douleur.

Elle a franchi la grille et marche vers l’escalier.

Le geôlier lui-même est si troublé par la scène qui vient de se passer sous ses yeux qu’il suit la jeune fille et son compagnon, et qu’il oublie de refermer la grille.

Mais en bas, la grille de la salle des gardes est fermée. Un garde est là de l’autre côté, debout, en faction.

Élisabeth s’arrête, ses regards farouches jettent un éclair et elle ordonne d’une voix rude et impérative :

— Ouvre la grille de ta cage, fils de bourreau !

Quoique surpris et interloqué, le garde obéit promptement.

Élisabeth traverse la salle entraînant toujours Simon Therrier, plus éperdu que jamais.

Devant la porte massive et lourde qui ouvre sur le perron dehors, quelques gardes stationnent. Ils fument et ricanent tout en lorgnant la jeune fille qui s’approche.

Comme ils n’ont pas l’air de vouloir livrer passage, Élisabeth rugit :

— Place, viles argousins !

Un garde l’insulte.

— Goujat ! clame Élisabeth.

Et, rapide comme la pensée, elle saisit la canne de Simon, l’arrache, l’élève et en frappe le garde à la tête.

Lui, furieux, lève son poing pour frapper cette frêle enfant.

Simon saute à la gorge du garde, une lutte s’engage entre les deux hommes qui roulent dans leur étreinte sur le parquet.

Mais Simon, tout français qu’il est, n’aura pas le dernier mot : les autres gardes se jettent sur lui comme des dogues enragés.

Élisabeth, de sa canne, frappe des têtes, des bras, des jambes.

Des vociférations, des hurlements, des blasphèmes retentissent.

Un garde a réussi à frapper la jeune fille. Elle tombe, mais se relève aussitôt plus menaçante.

Ah ! si elle avait une arme… une arme au lieu de cette canne trop fragile !

Mais soudain arrive de là-haut une rumeur qui domine tous les autres bruits.