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accomplir mon dernier devoir parmi les hommes, je baise avec amour ton drapeau et ta gloire !

— Une nouvelle furie le secoua tout entier. Il reprit son verre, le remplit, l’éleva. Il allait peut-être lancer encore quelques flèches sanglantes aux ennemis de notre pays, lorsque, rude et malveillante, une voix appela de la grille du corridor :

— Hindelang !

Il frémit violemment, grandit sa taille et avec exaltation cria :

— Ah ! c’est la France qu’on appelle ?… Eh bien ! la voici !

Il accourut.

Deux personnes venaient de franchir la grille et de pénétrer dans le corridor. La première de ces personnes était un homme d’une cinquantaine d’années, bien mis, triste et grave, que le jeune français reconnut de suite.

— Simon Therrier ! dit-il avec un élan de joie.

Mais il recula aussitôt, il recula avec une sorte de rugissement devant l’autre personne qu’il venait de regarder. C’était une femme d’aspect menu, dont le visage demeurait épaissement voilé de noir, et dont la tête disparaissait presque entière dans un collier de fourrures.

Oui, Hindelang s’était reculé comme devant l’apparition d’un spectre. Et comme si, par instinct ou divination, il avait reconnu cette personne, il bégaya avec une stupeur impossible à rendre ce nom :

Élisabeth !…

Dans le corridor il reculait vers le chevalier de Lorimier, qui était parvenu à ranimer sa femme. Tous deux, ainsi que les autres visiteurs, ainsi que tous les prisonniers, ainsi même que le geôlier, oui tous regardaient cette scène incompréhensible pour eux.

Et Hindelang recule toujours, les mains tendues devant lui, comme pour repousser quelque chose de terrible et d’épouvantable.

Élisabeth, qui vient de relever son voile, sourit avec une poignante mélancolie. Ses yeux sont humides. Elle s’avance les bras demi tendus. Elle paraît surprise du mouvement d’Hindelang qui a l’air de la fuir.

— Charles ! prononce la jeune fille d’une voix que l’angoisse rend à peine distincte, avez-vous sitôt oublié vos promesses et les miennes ?

Hindelang s’arrête, éperdu, comme s’il venait de sortir d’un songe affreux. Il prononce encore avec une sorte d’effroi :

Élisabeth !

Plus souriante elle se rapproche, et plus rassurée peut-être. Ses yeux sont peut-être plus humides, des larmes sont prêtes à couler. Elle dit encore, dans un murmure bas :

— Charles, je suis venue remplir les miennes…

Elle se rapproche et ajoute, mais si bas encore que seul Hindelang peut l’entendre :

— Je veux être tienne pour mieux adorer toujours ton image et ton souvenir !

Le jeune homme s’est encore arrêté. Il est hagard, livide, éperdu, tremblant, indécis. Il ferme les yeux, les rouvre tour à tour. Les traits de son visage se crispent. Le chevalier, près de qui il s’est arrêté, lui murmure à l’oreille :

— Revenez à vous, mon ami ! Voyez donc cette malheureuse enfant qui vous tend les bras !

Cette voix, ce murmure semble un choc. Hindelang court à la jeune fille, la saisit dans ses bras, la soulève, l’embrasse et se met à pleurer.

Mais cette étreinte est courte. Il repousse tout à coup la pauvre enfant et hurle :

— Va-t’en ! je ne veux pas… Va-t’en !

Il la repousse encore, plus rudement.

Il gronde :

— Je ne peux pas ! Je suis un monstre ! On me jette en pâture au bourreau ! Ah ! rien que mon nom serait déjà pour toi un malheur irréparable !

— Charles ! Charles ! gémit la malheureuse, mains jointes et crispées par la douleur.

Hindelang, comme enragé, la pousse vers la grille.

— Va-t’en ! râle-t-il. Ce n’est pas ma faute, ce sont nos ennemis qui font ton malheur et le mien ! Va-t’en ! ne vois-tu pas que tu me fais pleurer ? Je ne veux pas qu’on voie un soldat pleurer ! Car je suis un soldat et non un malfaiteur ! rugit-il.

Élisabeth, toute stupéfiée qu’elle est, comprend que la souffrance d’Hindelang le rend fou. Alors elle veut chasser cette folie, elle entoure le cou d’Hindelang de ses deux bras, elle baise avec ardeur ses paupières brûlantes et humides.