tes à nos palais, mais gardez-vous d’en laisser aux Anglais !
De Lorimier tenta de réprimander doucement encore le jeune homme sur ses flèches aux Anglais.
— Mais laissez donc, monsieur le Chevalier, répliqua impatiemment le jeune homme. Je suis assuré à cette heure que nous ne serons que deux condamnés à mort ici dans cette section, vous et moi. Je n’ai donc plus aucun motif de ménager nos ennemis.
Il tint parole : jusqu’au jour et à l’heure de son exécution Hindelang ne cessa de narguer les ennemis de notre race et de leur décocher ses dards.
Lorsque le prisonnier appelé par le geôlier pour aller recevoir des provisions reparut portant un paquet de belle dimension, mais préalablement déficelé et minutieusement inspecté, Hindelang s’écria sous le nez même du geôlier :
— Messeigneurs, voici le Vatel qui va nous confectionner un potage à l’anglaise !
Les rires fusèrent en sourdine, tandis que le geôlier repoussait rudement la grille qui rendit un son strident de ferraille.
Ce geste du geôlier parut stimuler Hindelang : voyant un bout de ficelle qui pendait et traînait sur le parquet, il le prit et dit :
— Prenez garde, mon ami, de gâcher cette ficelle, elle pourrait fort bien un jour servir à pendre un anglais !
Ajoutons que de ce moment tous les actes du jeune homme étaient accomplis « à l’anglaise ». Le matin suivant il se levait en prononçant avec une bonhomie plaisante :
— Je suis content, j’ai dormi comme un anglais !
Le lendemain, 13 février, au midi, comme ration du jour on servit des fèves mélangées de croquettes de pommes de terre.
Dans la gamelle d’Hindelang il se trouva un petit caillou mêlé aux fèves.
Quand il sentit ce caillou grincer et crisser entre ses dents, il esquissa une grimace, prit le caillou importun et le lança fortement contre la muraille en disant :
— Je ne m’imaginais pas que l’anglais était si dur à cuire !
C’était au moment précis ou le directeur de la prison passait en compagnie d’un garde devant la grille du corridor.
Les deux fonctionnaires ne firent mine de rien : mais dès qu’ils eurent disparu, ce fut le plus bel éclat de rire qui retentit.
Mais cette gaieté n’empêchait pas l’heure terrible d’avancer. Cette heure allait à présent à pas de géant.
Demain, c’était le 14 !
Après-demain, c’était le 15 !…
À cette pensée un frisson secouait jusqu’à la moelle le corps des condamnés à mort… l’agonie commençait !
La nouvelle des cinq prochaines et dernières exécutions s’était répandue avec la rapidité de l’éclair.
Les ennemis de notre race française et de notre ancienne mère-patrie exultèrent, se pâmèrent de joie tant ils avaient redouté jusque-là un geste de clémence du nouveau gouverneur, le général Colborne. On n’ignorait pas que des démarches puissantes avaient été faites surtout en faveur du chevalier de Lorimier et d’Hindelang. Or ces deux têtes étaient celles qu’on souhaitait le plus voir tomber.
On disait :
— Le chevalier de Lorimier est un des pires ennemis de l’Angleterre !
Au sujet d’Hindelang on clamait :
— Il a publiquement insulté notre pays et notre race… qu’il meure !
Point n’était besoin de tant de clameurs pour intimider ou arrêter un geste de clémence du général Colborne, il était trop ennemi de la race canadienne et française pour se laisser apitoyer. Et même si, par le plus miraculeux des hasards, il eût eu une idée de clémence, cette idée aurait été de suite anéantie en son cerveau par le marteau de la clique maudite.
Un journal de la clique possédait l’art de manier ce marteau : il écrivait les noms de nos Patriotes en encre rouge et disait :
— Demain, nous écrirons leurs noms avec leur sang, pour que l’effroi soit un remède salutaire et un préventif à ceux des leurs qui seraient tentés de marcher sur les mêmes traces !
Ces clameurs, heureusement, toutes ces sottises faisaient bien peu de mal à nos condamnés : le sacrifice de leur existence était fait.
N’ayant plus rien à attendre des hommes que la pitié des uns, la haine ou le mépris des autres, ils se préparaient à la mort as-