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Puis il esquissa un geste de rage en essuyant les larmes à ses yeux.

— Monsieur, dit-il en même temps à de Lorimier, il ne faut pas que les Anglais voient mes larmes… ils riraient trop !

Et avec une force de volonté remarquable, il se redressa, commanda à ses lèvres de sourire, sortit de sa cellule et dit, la voix assurée :

— C’est moi que vous appelez ?

— Oui, répliqua le geôlier, on vous demande au greffe.

Hindelang s’éloigna avec son gardien.

Cet incident causa une surprise générale aux prisonniers et la chose fut de suite commentée ainsi.

— Je parie, dit l’un, qu’il a obtenu sa grâce !

— C’est ce que je pense également, dit un autre, et qu’on lui donnera une sentence d’exil.

— Que Dieu vous entende ! proféra le chevalier avec gravité. Car je dis que la mort de cet enfant constituera le crime le plus affreux qu’ait commis la justice anglaise.

Le silence s’établit, et durant un quart d’heure tous ces hommes demeurèrent inquiets et sombres.

Puis Hindelang reparut. Il était pâle, avec une ombre de sourire sur ses lèvres. Il s’avança vers les prisonniers rassemblés dans la salle commune. Tous demeuraient anxieux et avides de savoir la nouvelle qu’il apportait.

Le jeune homme jeta un rapide coup d’œil vers la grille et vit le gardien s’en aller.

Alors il se mit à rire doucement, — et ce rire, pourtant, parut funèbre à ceux qui l’entendaient, — et dit sur un ton quelque peu narquois :

— Mes amis, réjouissons-nous ! C’est, aujourd’hui, le douze février, et j’aurai l’honneur d’être pendu à une corde anglaise vendredi, le 15, à huit heures et demie précises.

Il éclata d’un grand rire.

Mais ce rire n’était pas achevé, et les autres prisonniers n’étaient pas encore revenus de l’émoi causé par cette nouvelle, que le geôlier reparut à la grille et cria :

— Chevalier de Lorimier !

— Allons, bon ! s’écria le chevalier avec un léger sarcasme, c’est mon tour !

Hélas, oui, c’était le sien !

Dix minutes après il rapportait la nouvelle de son exécution fixée, comme celle d’Hindelang, à vendredi, le 15 du mois, à huit heures et demie précises.

— Diable ! fit Hindelang en riant, va-t-on nous pendre tous deux à la même corde, puisque comme moi vous serez exécuté à huit heures et demie précises ?

— Détrompez-vous, mon ami, sourit le chevalier, il y aura deux cordes.

— Une pour chacun de nous, vraiment ? Comme c’est intéressant ! Décidément j’ai hâte d’être pendu !

Tout le monde se mit à rire, car, Hindelang, à la fin, finissait par communiquer autour de lui la gaieté qu’il n’avait pas lui-même. N’importe, cela valait mieux ainsi ! Cela maintenait les courages à leur hauteur ! Avaient besoin de courage ceux aussi dont les peines avaient été commuées, car ils demeuraient toujours sous la main de leurs ennemis, et à cette époque — comme en la nôtre d’ailleurs — l’on ne savait pas qui marcherait sur la trappe fatale ; car alors aussi on jugeait et l’on déjugeait, on absolvait et l’on condamnait peu après. Le moindre caprice d’un juré pouvait maintenir une tête sur ses épaules ou la faire tomber !

Donc les prisonniers serrés autour d’Hindelang et du chevalier de Lorimier riaient tout en demeurant très inquiets. Et voilà que tout à coup cette inquiétude parut être justifiée.

Pour la troisième fois la voix rogue du geôlier venait faire un troisième appel.

— Quoi ! s’écria en pâlissant et tout interloqué celui dont on venait de jeter le nom, on me pend donc aussi après que ma sentence a été modifiée !

Et pour ne pas paraître moins courageux qu’Hindelang et les autres, il éclata de rire.

Mais déjà le geôlier expliquait :

— C’est un visiteur qui vous apporte des provisions pour vous et vos camarades !

Cette explication causa une vraie détente sur les nerfs comprimés de tous ces hommes.

Hindelang s’écria :

— Ah ! ça, monsieur, accourez vite ! Les provisions valent mieux à coup sûr qu’une corde de pendard, même si le pendard… pardon ! le pendu était d’essence anglaise, ce dont je n’aurais aucun chagrin ! Allez, allez, monsieur, ajouta-t-il, et rapportez-nous quelques bonnes choses très succulen-