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le consumant le cœur généreux qui battait non loin du sien. Il comprenait combien ce jeune homme, cet enfant de la France presque seul en ce pays anglais, devant l’ombre de l’échafaud qui s’amplifiait si lugubrement et de minute en minute, de seconde en seconde, devant l’avenir, si riant hier, qui aujourd’hui se fermait à tout jamais à sa jeunesse, devant cette porte de l’éternité qui s’ouvrait si subitement et d’une façon si affreusement implacable, oui, il comprenait que ce jeune homme endurait une torture qui surpassait la sienne. Son propre cœur également percé de flèches se comprima, et il fit taire ses propres souffrances pour mieux compatir à celles qui se révélaient à lui. Ah ! c’est qu’il y avait là deux natures vaillantes, deux natures également généreuses, deux natures faites pour se comprendre et se dévouer l’une à l’autre.

Le chevalier avait entraîné Hindelang dans le corridor où ils demeuraient seuls. Et tout en se promenant bras dessus bras dessous, il reprit :

— Vous me permettrez bien, mon ami, de parler un peu de Duvernay… de ce grand Duvernay ? Ah ! ce cher ami, ce qu’il a souffert lui aussi !…

— Oui, répondit Hindelang, le cœur tout plein de l’image d’Élisabeth, il a terriblement souffert. Tenez ! monsieur le chevalier, s’écria tout à coup le jeune homme avec admiration, monsieur Duvernay est un gentilhomme que la France se plairait à honorer, comme elle vous honorerait vous-même, monsieur le chevalier !

— Merci ! répliqua le chevalier avec une douce émotion. Ah ! la France, mon ami, votre France, notre France… oui, je peux bien dire « notre France »… je ne cesse de l’aimer, et nous, Canadiens, nous l’aimerons toujours ! Et, poursuivit de Lorimier, dites-moi aussi ce qu’est devenu cet autre ami, monsieur Rochon ?

— C’est vrai, je l’avais oublié, sourit tristement Hindelang. Vous avez raison, c’était encore un ami celui-là. Je ne sais ce qu’il est devenu. Il nous avait accompagnés, le docteur Nelson et moi, jusqu’à Napierville. De là il a dû se diriger vers Montréal, malgré son désir de nous suivre à Odelltown, pour accomplir certaines missions très importantes dont l’avait chargé monsieur Duvernay. Je pense même qu’il devait se rendre jusqu’à Québec.

— Il est probablement en sûreté maintenant. À propos, il a un parent ici même en cette prison.

— Vraiment ?

— Oui, ce parent avait été condamné à mort, mais il a eu la bonne fortune d’échapper à la potence : on dit qu’il sera déporté à l’étranger. Et de Nelson, de ce pauvre Nelson, que savez-vous ?

— Rien, monsieur. Ah ! je dois vous informer qu’à la vieille prison on ne se trouvait pas en un dépôt à nouvelles.

— Je vous crois, sourit de Lorimier. Moi, j’ai pu avoir quelques nouvelles, oh ! bien vagues, par des amis qui sont venus me visiter ici, et l’on m’assure que le docteur a réussi à passer la frontière.

— Je lui souhaite la liberté, monsieur, parce que je l’ai beaucoup estimé.

— Si nous avions seulement quelques hommes comme lui ! soupira comme avec regret le chevalier.

— Et comme vous ! monsieur le chevalier fit Hindelang avec une grande admiration.

De Lorimier sourit encore.

Leur conversation fut interrompu par un prisonnier qui venait de s’approcher pour informer Hindelang qu’un gardien le mandait à la grille.

Le jeune homme s’empressa d’aller à celui qui l’attendait à la grille du couloir.

— Vous n’avez pas encore de cellule ? demanda le gardien.

— Non, pas encore, répondit Hindelang.

— Alors, vous prendrez le numéro 9.

Et le gardien appela d’une voix forte :

— Lévesque !

Un jeune homme, à la mine éveillée, quitta la salle commune et s’approcha.

— Tu es seul dans ta cellule, n’est-ce pas ? dit le gardien.

— Oui.

— Eh bien ! prends ce jeune français avec toi et mets-le au courant des usages et des règlements.

— C’est bien. Venez, monsieur Hindelang, dit Lévesque, je vais vous montrer votre nouveau logis.

La cellule mesurait huit pieds en profondeur et six en largeur. De chaque côté étaient accrochés à la muraille deux lits de fer qu’on abaissait ou qu’on remontait selon les besoins. Mais quand ces lits étaient abaissés, il ne restait entre que juste la place pour mettre les pieds et les jambes. Au chevet et scellés dans la muraille une ta-