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On montait à cet étage par un escalier partant de la salle des gardes sise au rez-de-chaussée. Cette salle des gardes se trouvait à former l’entrée principale de la prison. À gauche était le greffe, à droite le parloir, au fond un grillage faisant mur, et derrière ce grillage les couloirs et les escaliers de service. À l’extérieur la porte d’entrée donnait sur un perron qui descendait dans la cour solidement et hautement murée de pierre grise, et cette cour formait un quadrilatère au centre duquel s’élevait la prison. Pour sortir de cette cour, ou pour y entrer, selon le cas, on franchissait une porte bâtarde pratiquée dans une énorme porte cochère. De chaque côté de cette porte, à l’intérieur de la cour, se dressaient deux guérites où prenaient abri, les jours de mauvais temps ou par les journées froides d’hiver, les deux sentinelles — cerbères vigilants — chargées de veiller sur qui entrait ou sortait ; c’étaient les deux portiers de l’hôtel ! Et en franchissant cette porte, d’aspect lugubre, on avait l’impression de passer la porte d’un enfer. C’est devant cette porte bardée de fer et gardée par deux individus armés jusqu’aux dents — porte qui pour lui était celle de l’éternité — qu’Hindelang arriva, vers les dix heures de matinée, escortés de deux militaires et de deux gardes de la vieille prison.

Lorsqu’il eut franchi la porte bâtarde, menottes aux mains et traînant du pied gauche une chaîne énorme reliée aux menottes, l’un des gardiens qui surveillaient l’entrée se mit à rire.

Hindelang jeta à cet homme un regard hautain et demanda :

— Pourquoi ris-tu, toi ?

Sans répondre, l’autre cligna un œil narquois à ceux qui accompagnaient le jeune homme et dit :

— Ah ! ah ! c’est le p’tit français, celui-là ?… Il va trouver que notre p’tit échafaud vaut bien sa p’tite guillotine !

Un gros rire résonna.

Hindelang, sans perdre son calme hautain, répliqua à cet humoriste :

— Je compte bien, mon ami, que tu seras là, hein ! pour apprendre comment un petit français monte sur votre petit échafaud !

— Et mieux comment il en descend ! éclata de rire le garde.

— C’est très juste, monsieur, se mit à rire également Hindelang avec une politesse moqueuse, vous aurez l’avantage de mon exemple !

Il fut entraîné, poussé par ses gardes vers le perron de pierre.

Mais Hindelang venait, sans le savoir, d’être prophète. En effet, ce même garde allait, paraît-il, monter sur le même échafaud, vers 1844 ou 1845 pour avoir assassiné un camarade de service qui l’avait dénoncé pour cause d’intempérance aux autorités de la prison, et celles-ci avaient aussitôt congédié ce digne buveur.

Donc, Charles Hindelang avait été entraîné par ses gardes.

À l’intérieur de la prison un greffier prit possession des papiers du jeune homme qu’un gardien avait apportés de la vieille prison ; puis, après les formalités d’écrou, dix minutes au plus, le jeune français fut conduit au deuxième étage de l’aile droite, là où était le petit groupe de prisonniers politiques.

Daigne le lecteur ne pas nous en vouloir pour cette trop longue esquisse topographique. Nous la croyons utile, vu que les scènes qui vont suivre se dérouleront en cette partie de la prison.

En laissant la salle des gardes et en prenant l’escalier qui menait aux étages supérieurs, on arrivait d’abord sur le palier du premier étage, d’où par un passage longitudinal traversant le bâtiment central on atteignait un second escalier communiquant avec l’aile droite. Mais devant cet escalier se trouvait une grille solide et bien cadenassée. Cette grille franchie, l’on montait au deuxième étage pour se trouver dans un couloir transversal sur lequel s’ouvraient deux séries de cellules : l’une sur la cour d’avant de la prison, l’autre sur la cour d’arrière. C’est dans cette série qu’on avait enfermé les prisonniers politiques. Une grille fermait l’entrée de chaque série, et à travers cette grille on découvrait le large et long corridor sur lequel ouvraient les portes des cellules. De sorte qu’on y pouvait voir les prisonniers durant les heures qui leur étaient accordées pour prendre leurs ébats dans le corridor. Près de la grille se trouvait ce qu’on pourrait appeler une salle commune, petite, aux murs blanchis de chaux, meublés d’une table, de bancs et d’escabeaux. Au centre un gros poêle qu’on tenait dûment bourré dans la saison d’hiver. De la grille et du couloir on pouvait facilement voir ce qui