brave encore et je suis prêt à mourir ! Accusez donc ! Condamnez ! Exécutez ! Commandez de suite le peloton pour qu’on voie que je n’ai pas peur, pour que tous ici voient comment sait mourir un français !
Il se tut, laissant ses regards chargés de défi peser sur les trois juges.
Eux demeurèrent impassibles.
Les officiers anglais sourirent de dédain.
Dans l’assistance ou n’entendit que des murmures vagues.
Le tribunal commença la procédure.
Ce ne fut pas long, Hindelang ne se défendit même pas. Il ne cessa de réclamer la mort du soldat. Ce fut donc vite fait : on le condamna à être pendu.
Il éclata d’un rire sardonique.
— Merci, messieurs ! dit-il seulement.
On l’emmena mains liées.
Quand il passa devant les premiers rangs de l’assistance pour regagner la chambre des accusés, des femmes se penchèrent et tentèrent de lui cracher au visage.
Le jeune homme répliqua fièrement :
— La France est trop élevée pour l’atteindre de vos crachats et trop belle pour la salir !
Une jeune fille lui jeta à la figure un linge humide et roulé en boule.
Hindelang allait franchir la porte de la cour.
Il s’arrêta malgré la poussée brutale de ses deux gardes, regarda la jeune fille un moment, puis demanda d’une voix tranquille, mais dans laquelle on sentait frémir la valeur et la dignité de sa race :
— Ce linge est-il mouillé de vos pleurs ou de vos baves ?
Il disparut.
Un silence terrible régnait sur la salle. Et dans ce silence une voix anglaise prononça ce mot ;
— Honte !
Même là, la France avait des amis !
III
LES MARTYRS DE LA LIBERTÉ.
La rébellion de 1837, qui eut pour pendant celle de 1838, s’est achevée dans une tragédie préparée par les ennemis implacables du Canada français : douze martyrs à l’échafaud et cinquante-huit citoyens honorables à l’exil. Et c’était le couronnement d’une œuvre barbare de ces mêmes ennemis : un monceau de ruines encore fumantes, de débris sanglants, de deuils profonds, de souffrances et de douleurs indicibles. Et, ironie du sort, voilà que nous sommes redevables à ces ennemis d’une certaine reconnaissance, puisque une quarantaine furent acquittés et libérés ! Peut-être furent-ils impuissants à les condamner ?… Passons, nous n’avons pas à refaire ici l’histoire de cette épopée sanglante et bientôt centenaire ; l’un de nos plus brillants historiens a accompli cette juste tâche avec toute l’éloquence d’une âme vraiment canadienne et française : LES PATRIOTES de M. le sénateur David demeure notre plus beau livre canadien.
Mais pour suivre notre petit héros de France jusqu’à son calvaire, il nous faut entrer dans quelques détails de circonstances et de personnages qui formèrent le milieu touchant où l’image de Charles Hindelang se détache lumineuse, riante, mélancolique ou gouailleuse jusque sur la plateforme fatale de l’instrument de mort.
Et déjà le monstrueux instrument — comme nous l’avons rapporté précédemment — avait vomi sur notre sol tout rouge encore du sang de notre race, chaud encore sous les cendres de l’incendie, les cadavres de sept victimes. Au nombre des Patriotes dont la sentence de mort avait été commuée en une sentence d’exil, quatre condamnés à la potence attendaient de jour en jour, d’heure en heure, le moment de leur exécution. Ces condamnés étaient à la Prison Neuve. Charles Hindelang était le cinquième, et c’est à cette prison qu’il allait être conduit.
En effet, le lendemain de son procès — si tant est qu’une procédure aussi sommaire que fut la sienne peut s’appeler un procès — on emmena Hindelang à la Prison Neuve.
En cette prison les prisonniers politiques et condamnés avaient été divisés en deux groupes. L’un, le plus nombreux, avait été logé dans l’aile gauche, et dans ce groupe il y avait trois Patriotes voués à la corde. Quant à l’autre groupe, plus petit, et dont faisait partie un quatrième condamné, le célèbre chevalier de Lorimier, il avait été confiné dans une suite de cellules de l’aile droite, au second étage.