Page:Féron - Le patriote, 1926.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Un officier anglais qui l’ajustait d’un pistolet lui cria :

— Rendez-vous !

Hindelang poussa un rauque rugissement, bondit, se rua, faisant tournoyer dans sa main son fusil tordu, pratiqua encore une trouée, traversa l’ennemi… L’instant d’après, sans en avoir conscience, comme s’il venait de sortir d’un songe monstrueux, il se trouva hors du village, suivant sur une route raboteuse les Patriotes en déroute. Et déchirés, sanglants, noirs de poudre, il ne vit plus avec lui que six braves.

Il s’arrêta, frémissant. Une sourde imprécation s’échappa de ses lèvres sanglantes. Il prit son fusil tordu par le canon, le fit tournoyer au-dessus de sa tête et le lança avec rage dans une touffe de buissons.

Puis pleurant, hurlant, titubant, il s’élança dans les bois avec ses compagnons pour ne pas suivre le cortège des fuyards.

Le désastre était complet.


Fin de la deuxième partie.


TROISIÈME PARTIE
La Potence

I

LA BATTUE


L’affreuse battue de 1837 recommençait.

Après cette affaire d’Odelltown, comme après Saint-Eustache, l’année précédente, le soulèvement des Patriotes était dompté, cette action s’était faite d’elle-même. Les chefs disparus, la troupe s’était dispersée. Ceux qui n’avaient pas été arrêtés et faits prisonniers, étaient retournés à leur foyer respectif et avaient repris leur travail. Du jour au lendemain l’orage avait fait place au calme. Il n’était donc plus besoin d’armées rouges pour rétablir l’ordre, puisque l’ordre s’était fait.

S’il demeurait encore ça et là quelques petites bandes de Patriotes qui n’avaient pas déposé les armes, c’est parce que la nouvelle de l’affaire d’Odelltown ne leur était pas encore parvenue. À cette époque une nouvelle n’atteignait pas en vingt-quatre heures tous les coins du pays comme aujourd’hui, et il eût été de la meilleure justice de laisser aux feuilles publiques, qui circulaient lentement, le temps d’arriver aux rebelles et de les informer du désastre. En effet, dès que ces bandes apprirent le résultat de la bataille d’Odelltown, elles se hâtèrent de déposer les armes. Le pays se trouvait donc entièrement pacifié. Si, il est vrai, il se trouva encore un écho de rumeurs batailleuses dans notre ciel canadien, ce n’était pas un motif de jeter sur le pays des bandes de soldats sauvages assoiffés de meurtre. Le général Colborne, qui dirigeait le mouvement, avait reçu ordre tant du Bureau Colonial à Londres que du gouverneur au Canada de rétablir la paix en soumettant les bandes armées. Il outrepassa l’ordre reçu, car les bandes armées n’existaient plus, et il outrepassa ou mieux il méconnu les lois humanitaires en conduisant ses loups à travers le pays semant partout l’horreur. Le meurtre, l’incendie, le pillage étaient mot d’ordre. On envahissait un village paisible, on incendiait les habitations, on brisait les choses, on tuait les êtres. On eût juré que les soldats anglais avaient reçu un autre mot d’ordre, celui de détruire jusqu’au dernier vestige de la race canadienne-française. Et ce mot d’ordre, de fait, ne l’avaient-ils pas eu ?

De Montréal, de Québec, du Haut-Canada, de Londres même, des voix ivres de vengeance avaient clamé à ces tueurs :

— Prenez les grosses têtes, rasez les petites !

Alors on faisait prisonnier tout ce qui avait l’apparence d’avoir pris une direction quelconque dans le mouvement insurrectionnel, les autres, on les tuait simplement.

— Rasez ! Tuez ! Brûlez !

C’était la clameur entendue.

Allons ! était-ce une race d’hommes que ces Canadiens ? Non… tuez !

Et l’on tuait systématiquement ce que Lord Durham avait appelé :

A nationality destitute of invigorating qualities !

Mais ce Lord Durham avait mal vu et mal jugé, et il n’aurait qu’à revenir en notre beau Canada pour constater ce qu’est devenue aujourd’hui la nationalité de 1838. Il n’aurait qu’à revenir dans un demi-siècle d’ici pour voir une nation avec laquelle, enfin, il faudra compter.

Quelle démence de la part de ceux qui clament encore : Race sans vigueur, sans moral, sans âme !

Qu’ils retournent à ces jours glorieux où une poignée de paysans ont fait trembler tout un empire ! C’était à Saint-Denis !